Le 30 avril 2021, feu José Gregorio Hernández, médecin de Caracas, décédé en 1919, a été béatifié. Les cloches de toutes les églises catholiques du Venezuela ont tintinnabulé à l’unisson. Leur sonnaille a très officiellement été retransmise par la télévision et la radio d’État.
Image : Cuaresmas
Les fidèles du Venezuela, qu’ils soient à la droite ou à la gauche du Seigneur, miraculeusement unanimes, ont communié sans se faire prier, saluant l’événement, par bien des côtés surnaturels. Il est vrai que c’était écrit, noir sur blanc, dans le Nouveau Testament. Il y a bien longtemps, Saint-Paul l’avait annoncé aux Romains : « Les voies du Seigneur sont impénétrables ». Sans doute. Mais les décisions de son pape argentin, François, et de son clergé vénézuélien, méritent une exégèse terrestre, n’enlevant par ailleurs rien au charme poétique et prémonitoire de la théologie. Qui est José Gregorio Hernández ? Le personnage mérite une attention particulière. C’est par lui que le miracle a pu se frayer un chemin dans la jongle des hérésies et des schismes nationaux vénézuéliens. José Gregorio Hernández est une figure œcuménique, religieusement comme socialement. Pieux, il respectait les dix commandements et assistait régulièrement à la messe. Charitable et au grand cœur il soignait les plus pauvres sans leur demander un sou.
Il y a enfin son final. Un décès qui renvoie à Saint-Paul. José Gregorio Hernández a été le ou l’un des premiers piétons morts écrasé par un véhicule automobile sur une voie impénétrable de Caracas. Ce chemin de croix exemplaire, mais quand même étrange, parsemé de sentiments mystérieux, a séduit les Vénézuéliens. Ceux des beaux quartiers comme le petit peuple. Ils ont tous chez eux, une figurine, de plastique ou de plâtre, représentant le docteur, en blouse blanche, stéthoscope autour du cou, chapelet en poche, en lare protecteur du foyer. Sa tombe a été remisée tout près de l’entrée de l’Église de la Candelaria, au centre de Caracas. L’Église pendant longtemps s’accommodait sans plus, de ce saint homme, certes populaire, mais en rien officiel et quelque part concurrent de ceux du calendrier. Les fervents, nombreux, venus implorer et adorer, en gamme « foi du charbonnier », relégués dans le narthex, étaient ainsi admis et contenus.
Le Venezuela souffre de polarisation aiguë depuis le 1er janvier 1999, premier jour de mandat du défunt président Hugo Chávez. Les choses depuis se sont aggravées. Ballotés entre une opposition, et un pouvoir, recourant à l’excommunication verbale et parfois aux armes, pour diaboliser et « autodafer » le camp adverse, les Vénézuéliens ont été les victimes consentantes d’une intolérance mutuelle galopante. Les voies de la politique, inspirées par un esprit partagé de croisade ou de guerre sainte, sont devenues de plus en plus impénétrables et insupportables. Les voisins immédiats du Venezuela, comme les États-Unis et les Européens n’ont rien fait, au contraire, pour calmer un jeu, de plus en plus irrationnel. Les sanctions imposées à un pays sorti des rails ont jeté sur les routes d’Amérique du sud des Vénézuéliens au bout du rouleau, par centaines de milliers. Le Pape avait fait en 2016 une brève tentative de conciliation. Il y avait perdu son latin. Il avait claqué la porte au nez de Nicolás Maduro qui en 2019 l’avait à nouveau sollicité. Et avait hissé avec irritation et dépit le signal d’un repli en terres vaticanes.
À l’époque, une béatification avait accompagné les efforts diplomatiques du saint Siège et de son Secrétaire d’État, qui avait été un actif nonce apostolique, Pietro Parolin. La Mère Carmen Rendiles répondait sans doute aux exigences de sainteté requises. Mais le rebelote d’aujourd’hui est sorti des arcanes de la Congrégation pour la cause des Saints. Il a en effet a mis dans les mille politiques. José Gregorio Hernández est applaudi de tous côtés. Le président Maduro le 26 avril, s’est publiquement réjoui. « Nous avons aidé au mieux l’Eglise catholique à préparer un événement attendu par le peuple vénézuélien depuis des décennies, la béatification de José Gregorio Hernández. Enfin nous y sommes arrivés ! (..) Demandons à José Gregorio Hernández qu’il bénisse le Venezuela. » L’Assemblée nationale, « bolivarienne », a publié une déclaration, « pour saluer la béatification du « médecin des pauvres » et accompagner le peuple vénézuélien ». À Miami, lieu de repli de l’opposition bien dotée, on donne dans un théâtre de la ville , le Paseo de las Artes Regency Miami Airport, un classique religieux et politique, Le Saint Patriote. Sur son blog, un opposant a applaudi la béatification en ces termes : « Je souhaite demander à José Gregorio Hernández de nous aider à sortir de la pandémie que nous a envoyée la Chine communiste, alliée du régime maduriste, (…) et du pandémonium qui n’est pas causé par un virus, mais par un poison politique rouge »[1].
Le pape François dans son message annonçant cette béatification n’a pas caché sa dimension terrestre. José Gregorio Hernández, a déclaré le Saint-Père, « est un modèle de sainteté engagé à défendre la vie ! (..) au service de son prochain. Comme un bon samaritain, sans exclure personne (..) ce qui signifie savoir se recevoir les uns les autres (..) aider et laisser les autres nous aider ». La Conférence épiscopale vénézuélienne a quelques jours plus tard confirmé le sens de cette béatification et le propos du Souverain pontife. Le 26 avril, Mgr Baltazar Porras, cardinal et administrateur apostolique de l’archidiocèse de Caracas a en effet indiqué que « tous les vénézuéliens qui s’identifient avec lui (José Gregorio Hernández) doivent dépasser leurs différents, (..) la violence et les éliminations réciproques ».
Pour autant la messe de béatification a été célébrée par le nonce, Monseigneur Aldo Giordano. Et non comme cela avait été initialement annoncé par le Secrétaire d’État Pietro Parolin. Chat échaudé craint l‘eau froide. Le Saint-Siège au dernier moment a choisi de suspendre ce déplacement. En raison, dit le communiqué officiel, en termes sibyllins, « de forces majeures, liées essentiellement à la pandémie ». Le Secrétaire d’État a gardé beaucoup de connaissances et sans doute d’amis à Caracas. Il a sans doute suggéré d’accélérer la procédure de sanctification. Nonce, comme il l’a dit à un journaliste du Diario de lasAmericas, « je n’avais jamais rencontré (avant d’arriver à Caracas) ce phénomène, tout un peuple identifié avec cette personne ». Il en a tiré une conclusion très contemporaine, « José Gregorio Hernández a beaucoup à dire au Venezuela d’aujourd’hui » (..) c’est un saint d’une grande actualité ». Mais la présence de cette éminence titrée aurait laissé supposer qu’il y avait anguille sous roche. Une nouvelle tentative de médiation. Le recours au coronavirus a remis les pendules sur un fuseau horaire plus attentiste. Comme si cette béatification ne pouvait constituer qu’un ballon d’essai. Qui reste à transformer. En attente peut-être d’un réajustement des fenêtres de tir diplomatique des uns et des autres. Celles du nouveau résident de la Maison Blanche, Joe Biden, qui a bougé sur bien des dossiers. Celle des Européens qui sur le Venezuela avait fait le choix de suivre Donald Trump. Or Donald Trump n’est plus chef des États-Unis. En attente aussi d’une nouvelle règle du jeu politique, à Miraflores, saint des saints du pouvoir bolivarien, comme dans celui, in partibus, du Royaume des cieux des oppositions.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY
[1] Dans le quotidien El Nacional, 29 avril 2021- http://www.elnacional.com