En mars, six portefeuilles ministériels stratégiques ont changé de main au Brésil. Ces changements significatifs s’inscrivent dans un contexte où le Brésil est l’épicentre mondial de la pandémie. Le pays est entré dans une récession économique et un isolement diplomatique, avec un président plus impopulaire que jamais. À un an et demi de la prochaine présidentielle, Jair Bolsonaro joue sa survie politique.
Photo : El Pais
Le Brésil vit un désastre sanitaire. En un an, le coronavirus a fait plus de 317 000 morts, mais la crise sanitaire a aussi fait monter en flèche le chômage avec son cortège de nouveaux pauvres et de foules d’affamés dans ce pays champion de l’industrie agro-alimentaire. « Les prévisions donnent jusqu’à entre 500 000 et 600 000 morts d’ici à la fin 2021. On est au bord de l’effondrement », s’alarme José Paulo Guedes Pinto, professeur à l’Université fédérale de l’ABC (Sao Paulo) et coordinateur du groupe de recherche interdisciplinaire Action Covid-19, qui ajoute : « Le gouvernement est perdu, désemparé ». En mai 2020, le général Eduardo Pazuello avait été nommé ministre de la Santé, pour gérer en « logisticien » militaire la crise sanitaire liée au Covid-19. Son surnom au Brésil est « Pesadelo » (« Cauchemar », en portugais). Le 16 mars 2021, Jair Bolsonaro nomme un nouveau ministre de la Santé, le cardiologue Marcelo Queiroga, la quatrième personne à occuper le poste depuis le début de la pandémie. On ne peut mieux signifier l’échec et le désarroi dont parle le professeur Pinto.
Le directeur-général de l’OMS vient de déclarer que le Brésil, en ne faisant rien contre le coronavirus, est un danger pour ses voisins et pour le monde entier. Depuis le début de la pandémie, Bolsonaro a fait campagne contre les mesures de restriction, de couvre-feu et de vaccination. Son argument était que le confinement serait un désastre pour l’économie et que les citoyens allaient mourir de faim et non de la Covid-19. Il a même questionné la Cour Suprême sur la légalité du confinement décrété par plusieurs États du pays. Les télévisions du monde entier l’ont montré en public et sans masque au milieu de militants l’acclamant. Aujourd’hui, les indicateurs de la pandémie et de l’économie sont calamiteux : c’est perdant-perdant sur tous les tableaux. Des centaines de banquiers et d’économistes ont écrit une lettre publique pour demander au gouvernement de cesser d’opposer la politique sanitaire et l’économie et ont réclamé la démission du ministre des Affaires étrangères, piètre négociateur dans l’acquisition de vaccins anti-Covid.
Un remaniement ministériel d’ampleur
Le 29 mars, le président Jair Bolsonaro semble avoir écouté les signaux d’alarme des gouverneurs d’État et de la société civile, mais le pays a été surpris par l’ampleur du mouvement ministériel alors que le seul changement de poste attendu était celui du chef de la diplomatie, Ernesto Araujo, un très proche de Bolsonaro. Ce clone du président brésilien, complotiste assumé comme son mentor, « coronasceptique » et « trumpiste », incarnait la face obscurantiste du pouvoir. Après son échec dans les négociations pour l’acquisition de vaccins et avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, sa sortie du gouvernement était devenue inéluctable. Le ministère des Affaires étrangères est désormais occupé par Carlos Alberto Franco França, un diplomate décrit comme effacé, qui n’a jamais occupé de hautes responsabilités. Cette nomination convient à Bolsonaro, qui incline pour des semblables : médiocre capitaine puis terne législateur à Brasilia, l‘actuel président n’a jamais figuré parmi les parlementaires distingués pour leurs brillantes et utiles initiatives.
Outre le ministère des Affaires étrangères, pas moins de cinq ministères ont changé de locataire, dont ceux très stratégiques de la Défense et de la Justice. Est-ce un coup d’éclat, une démonstration de force ou bien ces changements en profondeur ont-ils été imposés à Jair Bolsonaro par ses soutiens parlementaires du Centre, coalition de parlementaires flottants, opportunistes et disponibles pour des alliances de circonstance ? Le 30 mars, Bolsonaro procède à la mise à l’écart tonitruante du ministre de la Défense, le respecté et influent général quatre étoiles, Fernando Azevedo e Silva. Ce départ a provoqué la démission des trois chefs des armées –le commandant de la marine, celui de l’aéronautique et le puissant chef de l’armée de terre, le général Edson Leal Pujol–, ce qui est sans précédent depuis le retour de la démocratie. Ces départs sont-ils une réaction de haut-gradés mécontents des dérives bolsonaristes ou s’agit-il d’un coup de balai décidé par le président ? On sait que Jair Bolsonaro attendait des militaires démis un soutien politique, un « juste retour » de la confiance qu’il leur a manifestée en peuplant son gouvernement et la haute administration de six mille militaires de réserve et d’active. Le poids des militaires dans l’appareil d’État demeure important, mais si la défiance d’une large fraction de l’élite militaire se confirmait, ses conséquences seraient considérables dans les futurs développements de la crise multiforme que connaît le Brésil.
Vers une dérive ultra-autoritaire du pouvoir ?
Le ministère de la Défense du Brésil revient dorénavant à un poids lourd, le général Walter Braga Netto, auparavant ministre de la Casa Civil (soit premier ministre et directeur de Cabinet de la présidence). Son arrivée s’est tout de suite signalée par un acte d’allégeance publique au président : comme lui, il exalte le coup d’État militaire de 1964. Assiste-t-on à une dérive ultra-autoritaire du pouvoir, propre à satisfaire les militants nostalgiques de la dictature ? Le climat anti-démocratique installé par le président d’extrême-droite se tend et les observateurs avertis notent que les options idéologiques et politiques sont très disputées au sein de l’armée, entre partisans de Bolsonaro et serviteurs du pays.
Pour les milieux économiques brésiliens et les voisins latino-américains, les préoccupations relatives au remaniement se portent sur les capacités de contrôle sanitaire et les mesures contre la récession économique. Les prochains mois seront décisifs pour savoir si ce remaniement ouvre la voie à un coup d’État avec la complicité d’une fraction politisée des militaires, ou si une majorité influente d’entre eux exercera un pouvoir modérateur respectueux de la légalité constitutionnelle et de la démocratie. Un coup de force est-il possible, avant les présidentielles de l’année prochaine, si les choses devaient mal tourner pour Bolsonaro – par exemple si l’ancien président de gauche Luiz Inãcio Lula da Silva revenait sur la scène politique, lavé des accusations qui l’avaient empêché d’être candidat en 2018 ?
Le Brésil se trouve aujourd’hui confronté à un désastre sanitaire et à de graves difficultés économiques, sociales et politiques qui ne manquent pas d’inquiéter, car elles font vaciller le pays et son régime démocratique mis à mal par plusieurs années de bolsonarisme.
Maurice NAHORY