Guatemala : Procès historique d’un dictateur

De 1954 à 1985, le Guatemala a vécu sous la coupe de dictateurs militaires. Le conflit entre dictatures,  mouvements sociaux et guérilla, un des plus long du continent, a fait 200 000 morts dont 45 000 disparus. Le plus féroce des dictateurs, le général Efraín Ríos Montt (1982-83), est actuellement jugé pour génocide contre le peuple Maya Ixil. Une première historique.

L’armée guatémaltèque avait adopté une stratégie très agressive non seulement en décimant les mouvements sociaux et en attaquant la guérilla mais en s’en prenant aussi à toute zone considérée comme sympathisante de la guérilla, zones habitées essentiellement par les Indiens Maya. La politique des militaires : « Puisque la guérilla est comme un poisson dans l’eau parmi les peuples indigènes, si on ne peut pas tuer le poisson, il faut lui retirer l’eau » donc exterminer la population civile indigène. C’est l’origine des massacres : plus de 600 villages indiens sont rayés de la carte dans le cadre d’une « politique de la terre brûlée!

Depuis de nombreuses années, les familles des victimes et les associations de défense des droits humains luttent pour que les dictateurs des années 1980 soient jugés pour crimes contre l’humanité et génocide. La peur et les menaces contre les juges, les avocats, les témoins survivants et leurs familles avaient jusqu’à présent réussi à éviter une mise en examen de ces militaires.

En 2001, l’AJR (Association pour la justice et la réconciliation) et le CALDH (Centre d’action légale pour les Droits Humains), déposent devant la justice, une plainte contre le général Efraín Ríos Montt pour génocide et crimes contre l’humanité envers les Ixils lorsqu’il était ‘président de fait’,  c’est-à-dire dictateur du Guatemala en 1982 et 1983. Mais la justice reste silencieuse pendant plusieurs années…

En 2006, l’AJR sollicite du Ministère Public qu’il demande à l’armée de lui remette les plans militaires « Opération Ixil » et « Opération Sofia », noms des actions militaires en territoire ixil durant l’année 1982. Ces documents prouveraient la volonté d’extermination des Indiens par le dictateur. L’armée refuse en arguant que ces document relèvent du secret d’État et mettraient la Sécurité de l’État en danger. Peu crédible, cet argument est rejeté par la justice. L’armée l’informe alors que « ces documents ont disparus ». Ce n’est qu’en juin 2011 que la juge Carol Flores ordonne la détention des généraux Efraín Ríos Montt et Rodríguez Sánchez, chef du renseignement militaire à cette époque, pour crimes contre l’humanité commis contre le peuple Maya Ixil.

L’ouverture du procès est sans cesse retardée, les avocats du dictateur déposant plus de cent recours : récusations, appels, incidents divers, accusation de partialité des juges, etc. Ils sont tous rejetés par la justice car ils sont « frivoles et hors sujet » avec pour seul but de retarder et faire obstacle à la justice. Les accusés demandent alors à la Cour Constitutionnelle qu’elle leur octroie une amnistie totale au nom de la Loi de Réconciliation signée lors des accords de paix de 1996. Demande rejetée car l’article 8 de la loi stipule qu’il ne pourra y avoir d’amnistie pour les crimes de génocide, tortures et disparitions forcées.

Le 28 janvier 2013, le juge Miguel Ángel Galvez décide que les deux généraux peuvent être inculpés : bien que plusieurs milliers d’indiens ixils aient été assassinés par l’armée, le procès concerne la mort de 1 771 personnes. Il s’est ouvert le 19 mars 2013. C’est la première fois qu’un des dictateurs des années les plus meurtrières de l’histoire du Guatemala depuis la conquête espagnole est inculpé et accusé de génocide.

Au premier jour du procès, l’avocat du dictateur demande son report car il n’aurait pas eu le temps de lire tout le dossier. Refusé par la Cour composée de trois juges. Il veut ensuite récuser la présidente du tribunal pour manque d’impartialité. Refusé. Il fait alors un plaidoyer politique en évoquant « l’ingérence d’étrangers qui fomentent la convulsion de la société et empêchent l’instauration d’une paix durable », alors que, selon lui, le général Ríos Montt « s’est montré gardien de la morale et précurseur d’un Guatemala démocratique et respectueux des droits humains ». L’extermination des Ixils « n’était pas une intention stratégique mais la conséquence d’une stratégie militaire ». L’avocat du CALDH répond que « chercher la justice n’est pas un acte de terrorisme ou de déstabilisation de l’État ».

Le deuxième jour est consacré au témoignage de survivants des massacres : ils racontent les assassinats, les viols, les tortures, les mutilations, le saccage et les destructions d’habitations, l’incendie des récoltes, le massacre des animaux, la fuite dans la montagne où les enfants meurent de faim… L’intention d’extermination est évidente lorsque l’on s’aperçoit que les enfants ne sont pas épargnés.  Une femme ixil raconte : « Les adultes étaient tués puis jetés dans la rivière. Les enfants étaient jetés vivants dans la rivière où ils se noyaient… »

Sans cesse, les avocats du dictateur demandent aux témoins « Les uniformes que vous avez vus ressemblaient-ils à ceux des autres ? », les autres étant la guérilla. L’intention est claire : faire croire aux juges que les Ixils avaient confondus les uniformes de la guérilla avec ceux de l’armée et que les massacres avaient été perpétrés par les guérilleros. Les témoins répondent qu’ils n’ont jamais vu dans le village d’autres uniformes que ceux des soldats. L’avocat de Ríos Montt leur crie alors au visage : « Qui vous a payé pour dire tout ça ? ». À quoi un Ixil répond tranquillement : « Il faut qu’il y ait justice pour que nos enfants ne vivent jamais ce que nous avons vécu »… Pour l’avocat de l’AJR, « face au monde, ce procès est un rappel que chaque processus de paix doit nécessairement être accompagné de mécanismes judiciaires. Le silence imposé pendant des années ne peut étouffer le désir de justice des victimes de graves violations aux droits humains ». Le procès reprendra début avril.

Jac FORTON

Informations basées  sur des document produits par l’AJR, le CALDH, le Collectif Guatemala en France, la FIDH et la documentation personnelle de l’auteur qui vivait au Guatemala lors de la signature des accords de paix de 1996.