Arguant de sa fragilité économique et se portant volontaire pour des essais cliniques, le Chili parvient à se placer en tête des pays avec le plus de vaccins commandés. Une stratégie qui pourrait s’avérer payante pour le gouvernement de Sebastián Piñera en chute dans les sondages.
Photo : Presidencia de Chile
Au premier abord, tout porterait à croire que la course pour l’acquisition des vaccins contre la Covid-19 a été remportée par les nations industrialisées les plus puissantes du monde. Mais à côté du Royaume-Uni, du Canada, des États-Unis et de l’Union Européenne, il y a un autre pays qui s’est assuré, lui aussi, un grand nombre de doses eu égard à sa population. Le Chili a commandé à ce jour, près de 90 millions de doses, un nombre suffisant pour vacciner deux fois sa population de 19,2 millions d’habitants. Il a signé pour ce faire des accords avec les laboratoires Pfizer, AstraZeneca, Sinovac et Johnson and Johnson, ainsi qu’avec le programme global Covax.
Comment ce petit pays, qui n’a que peu de poids au plan international, a-t-il réussi à se placer aux côtés des nations les plus riches du monde, de celles qui se sont assurées suffisamment de doses de vaccins pour immuniser leur population ? Ses ressources économiques ont certainement été un facteur important, mais pas de la même manière que pour les autres pays qui sont en tête de la course aux vaccins.
Une manœuvre économique
Le Chili fait partie des économies d’Amérique latine qui, au cours des dernières décennies, ont connu la croissance la plus rapide. Il est membre de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), qui réunit les nations dotées des niveaux de richesses et de développement humain les plus élevés. Cependant, les inégalités de revenus au Chili sont plus élevées que dans n’importe quel autre pays de l’OCDE et dépassent de 65 % la moyenne de l’organisation.
C’est pour cette raison que le Chili s’est trouvé plongé dans une crise sociopolitique qui a commencé à la fin de l’année 2019. Des manifestations de masse et des troubles violents sont à l’origine du malaise social le plus grave depuis la fin de la dictature d’Augusto Pinochet. La conséquence en est le niveau d’approbation du président Sebastián Piñera qui est tombé au niveau le plus bas jamais enregistré par un chef d’état depuis le retour de la démocratie en 1990.
En juin de l’année dernière, une soudaine augmentation des cas de covid-19 a suscité de vives critiques quant à la capacité du gouvernement à gérer la pandémie, ce qui a supposé des problèmes supplémentaires pour le président. Pour y répondre, Piñera semble avoir compris que la seule façon d’améliorer sa popularité avant que ne finisse sa présidence à la fin de l’année en cours, est d’assurer la plus grande quantité possible de vaccins pour ses concitoyens.
Cette stratégie est même entrée en contradiction avec ses efforts antérieurs pour faire apparaître son pays comme un exemple de stabilité et de bonne gestion économique. Dans le but d’obtenir de meilleurs accords avec les entreprises pharmaceutiques, Piñera n’a, en effet, eu aucun problème à affirmer tout le contraire. Le statut du Chili, un pays à hauts revenus selon la Banque mondiale, a été un point particulier de friction pour négocier les commandes auprès des fabricants de vaccins, tout particulièrement AstraZeneca.
Afin de ne pas payer un prix élevé, le gouvernement a dû démontrer, qu’en raison de la pandémie et de la crise sociopolitique, le Chili se trouve dans une situation économique bien plus mauvaise que celle des économies les plus développées du monde, et qu’en conséquence, il devrait pouvoir payer moins cher ses vaccins. Cette reformulation du Chili comme pays qui affronte des difficultés économiques semble avoir fonctionné, de toute évidence. Dans un ordre international qui se caractérise par des jeux à somme nulle et les intérêts particuliers, Piñera et le gouvernement chilien ont suivi les règles du jeu pour augmenter leurs propres possibilités de survie.
La diversification
Le gouvernement chilien n’a pas seulement réussi en invoquant le manque de fonds. Il a constitué une gamme très diversifiée de vaccins, composée de différents types, à différents stades de développement afin de parer aux risques éventuels. S’il est vrai que d’autres gouvernements l’ont fait également, le Chili a adopté très tôt cette stratégie. Il a commencé très vite à négocier avec de nombreuses compagnies pharmaceutiques, même avec des entreprises pionnières comme AstraZeneca et Pfizer, sans oublier Johnson & Johnson, qui était plus en retard dans le développement du vaccin. C’est sa tradition de modèle économique largement ouvert au commerce qui l’a très certainement aidé dans ce cadre : les négociateurs de commerce chiliens ont de grandes compétences, un important réseau de contacts et ils ont l’habitude d’affronter des environnements incertains.
Il convient de dire, que dans sa stratégie de diversification, le Chili est allé beaucoup plus loin que la plupart des économies avancées, en plaçant ses espoirs dans le vaccin CoronaVac, développé par l’entreprise chinoise Sinovac (il a commandé 60 millions de doses). Contrairement au Chili, la plupart des pays européens ont choisi uniquement des vaccins occidentaux, en dépit de l’avantage comparatif représenté par l’énorme capacité de fabrication des entreprises chinoises et la facilité de transport de leurs vaccins.
Des essais cliniques en échange de doses
Le choix de participer aux essais cliniques des vaccins contre la covid-19 a également renforcé la position de négociation du Chili. AstraZeneca, Johnson & Johnson, Sinovac et CanSino ont réalisé des essais de phase 3 dans le pays. Le Chili a des règles de protection très strictes pour les participants aux essais cliniques, mais ceci n’a pas dissuadé les laboratoires de réaliser des recherches dans le pays. En ce sens, l’internationalisation des universités chiliennes, dont certaines avaient déjà tissé des liens étroits avec ces compagnies pharmaceutiques avant la pandémie, a été un élément clé.
L’Université Pontificale Catholique du Chili, par exemple, avait déjà noué des relations avec Sinovac afin de développer des vaccins contre des virus respiratoires avant que le Covid-19 ne frappe. Par conséquent, convaincre le gouvernement chilien d’apporter des fonds pour tester le CoronaVac dans le pays n’a guère été difficile. En contrepartie, Sinovac a promis un accès rapide aux doses et un tarif très étudié.
L’objectif ambitieux du gouvernement chilien est de vacciner 80 % de sa population d’ici juin 2021. Bien qu’il se soit assuré le double des doses nécessaires, il négocie à présent des accords additionnels au cas où ces contrats échoueraient. Le processus de vaccination massive progresse avec succès. En quelques jours plus d’un million de personnes ont été vaccinées. Le système de santé chilien a une expérience notoire dans le cadre des programmes d’immunisation massive et de nombreux centres de vaccination ont été ouverts dans tout le pays pour atteindre cet objectif.
Pour l’instant, la stratégie du gouvernement de placer le Chili parmi les pays qui s’assurent les doses de vaccins semble avoir porté ses fruits. Cependant, il est encore trop tôt pour prédire si cela aura un effet positif pour Piñera et pour la popularité de son gouvernement.
Veronica DIAZ-CERDA
The Conversation
Traduit de l’espagnol par Isabelle Santarossa