Les péruviens votent le 11 avril prochain. Pour élire leur président et les 128 députés membres du Congrès. Rien de plus normal dira-t-on en République. Le Pérou n’a t-il pas retrouvé un rythme démocratique en 2000, à la chute de la Maison Fujimori ? Les apparences seraient-elles trompeuses ? Ces présidentielles en effet peuvent être décrites comme une consultation en trois « P » . « P » comme Pérou, « P » comme présidentielles. Et finalement « P » comme Para démocratie.
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Le premier de ces « P » renvoie à Pérou. Ce pays d’Amérique du sud vit depuis un an un moment difficile. La pandémie du coronavirus a déstabilisé le quotidien, tué plusieurs milliers de personnes et plongé l’économie dans une grave crise. Le tout dans un contexte politique raréfié. Quelques chiffres pour planter le décor. 40 000 morts fin janvier 2021. Des hôpitaux asphyxiés. Une croissance en berne affichant le plus fort décrochage d’Amérique latine, -12 %. Le Pérou a exporté moins de matières premières. Ses clients principaux, en particulier la Chine, touchés les premiers par le coronavirus, ont fonctionné au ralenti, acheté moins de minéraux et de pétrole. La raréfaction des liquidités a impacté l’ensemble de l’économie. La fiscalité indirecte source principale des revenus de l’Etat a chuté. Au moment où les besoins étaient les plus criants. Besoin d’articles de santé, besoins de financements sociaux. La paralysie progressive de l’Etat a révélé l’ampleur des déficits accumulés. La crise a mis en évidence les dysfonctionnements hérités d’un passé et d’un passif.
Circonstance aggravante ces derniers mois ont désarmé un peu plus la capacité de l’Etat à faire face. L’instabilité institutionnelle a atteint une sorte de paroxysme. Le président en fonction, Martín Vizcarra après avoir surmonté une première tentative de destitution le 18 septembre 2019, quelques mois avant la déferlante covid-19, est tombé le 9 novembre 2020. Ce départ loin de consolider ce qui pouvait l’être a au contraire désarmé un peu plus la puissance publique. Un ballet de postulants s’est manifesté pour occuper le fauteuil présidentiel, fusse par intérim. Le premier vainqueur de cette danse des chaises musicales, Manuel Merino, a été contraint de renoncer, le 15 novembre. A la suite de violentes manifestations d’indignés autour du Parlement, durement réprimées, un second intérimaire, Fernando Sagasti, a pris le relais le 16 novembre 2020. Principale conséquence de cette danse de Saint Guy, les autorités péruviennes ont été quasiment les dernières d’Amérique latine à passer commande des vaccins attendus avec désespoir par la population. Le 7 février 2021 300 000 doses venues de Chine ont été débarquées d’un avion d’Air France. 300 000 pour un pays de trente deux millions d’habitants. Le chef de l’Etat a été le 8, le premier des vaccinés..
Le 11 avril 2021, un Président va être élu. Président avec un « P », le deuxième de la série. L’offre est abondante. Seize candidats postulent. De gauche, et plus souvent de droite. Mais il s’agit bien davantage de concurrences d’ego et de profils personnels en concurrence médiatique. Les sondeurs placent depuis décembre 2020 un candidat échappé, assez loin devant les autres, George Forsyth. Sans pour autant recueillir un pourcentage de voix l’assurant de passer en tête la ligne d’arrivée. La métaphore sportive est volontaire. George Forsyth, est un footballeur, ancien gardien de but. De la meilleure équipe péruvienne, « Alianza Lima ». Mais aussi en quelques occasions de l’équipe nationale. Au point d’avoir été sollicité au « mercato », par des équipes européennes, allemande, le Borussia de Dortmund II, et italienne, l’Atalanta. Il revendique dans sa déclaration de candidature cette origine. « Le sport est fondamental pour notre bonheur, (..), apprendre des valeurs, (..), avoir un développement mental et physique sain, dynamiser l’économie »[1] . Il est vrai que cette défense et illustration du sport valide son programme très libéral économiquement, dénonçant l’insécurité et la corruption. En politique c’est autre chose. De 2010 à 2021 il a en effet participé à plusieurs campagnes locales sous des chemisettes changeantes, Unidad nacional, en 2010, Fuerza social en 2013, Contigo Lima en 2014, Somos Perú en 2018, Restauración nacional en 2020, puis Victoria nacional la même année.
Ce qui n’a rien d’extraordinaire sur les bords du Rimac. C’est le cas de tous ses rivaux, de droite comme de gauche. A gauche, Veronika Mendoza a porté les couleurs du Parti nationaliste, du Frente amplio et aujourd’hui de Juntos por el Perú. À droite, Hernando de Soto a été successivement conseiller d’Alberto Fujimori, puis membre de Capital Popular, soutien de Fuerza Popular et aujourd’hui candidat d’Avanza País.
Para démocratie est le troisième des « P » annoncés. Depuis 2000, année de la restauration parlementaire et des libertés publiques, le Pérou est dans un tunnel institutionnel dont il n’est jamais sorti. Ses présidents successifs ont tous été et sont encore pour certains en examen. Alejandro Toledo, résident aux États-Unis, fait l’objet d’une demande d’extradition. Alan García s’est suicidé. Ollanta Humala a été incarcéré. Pedro Pablo Kuczynski, démis est assigné à résidence. Président par intérim Martín Vizcarra a lui aussi été destitué. L’année 2020 s’est achevée, comme on l’a vu supra, sur un jeu de massacre aux sommets de l’État.
Le législatif n’a en rien compensé ce déficit de respectabilité et de légitimité présidentiel. Le système partisan a été détruit par Alberto Fujimori et Sentier lumineux. Il n’a jamais été reconstitué. Le Pérou est une démocratie sans parti[2]. Le glissement d’une formation éphémère à une autre est chose courante. Les référents traditionnels, qu’ils soient idéologiques ou autres, ont été durablement liquéfiés. Restent des hommes et des femmes qui d’une consultation à l’autre font campagne sur leur nom, avec des moyens financiers peu orthodoxes. L’étiquette importe peu, et révèle une inventivité lexicale sans plus.
Cette para démocratie, a les apparences de la démocratie sans en avoir la saveur et la consistance. Elle n’a jusqu’ici rien fait d’autre que déconsidérer un mode de gouvernement de plus en plus étranger aux populations, aux électeurs. Qui sont comme l’avait déjà exprimé une écrivaine péruvienne, Clorinda Matto de Turner en 1889, des Aves sin nido, des oiseaux sans nid…
Jean-Jacques KOURLIANDSKY
[1] In Victoria Nacional, « Plan de Gobierno », p. 26
[2] Définition de Steven Levitsky et Mauricio Zavaleta, ¿Porque no hay partidos políticos en el Perú ? » , Lima, Planeta, 2019