En paraphrasant Jean Meslier, auteur français du siècle des Lumières, l’écrivain brésilien João Paulo Cuenca s’est attiré les foudres du gouvernement de Jair Bolsonaro ainsi que des adeptes de l’Église universelle du royaume de Dieu, l’une des plus importantes du pays. Des pasteurs du pays entier ont alors porté plainte contre l’auteur. Très rapidement, 80 plaintes étaient déposées contre lui dans 19 des États fédéraux du Brésil.
Photo : Folhia
Le Brésilien ne sera libre que lorsque le dernier Bolsonaro sera étranglé avec les boyaux du dernier pasteur de l’Église universelle.» Voici le tweet qui a mis le feu aux poudres. João Paulo Cuenca réagissait alors à un reportage révélant comment le gouvernement actuel a utilisé de larges sommes en campagnes de publicité pour des médias évangéliques, une façon de financer le culte néo-pentecôtistes dans un pays supposément laïque sans éveiller les soupçons. Il reprenait à son compte la phrase du penseur des Lumières Jean Meslier qui écrivait au début du XVIIIème siècle : « Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre »
Rapidement, il est assailli de messages de haine, d’insultes et de menaces de fidèles des églises évangéliques et de sympathisants d’extrême droite. Allant jusqu’à souhaiter sa mort, ces messages le poussent à s’éloigner des réseaux sociaux pendant quelques temps. Dans les jours qui suivent, c’est la branche brésilienne du média allemand Deutsche Welle (DW) pour qui il travaille qui le contacte. Il apprend qu’il ne pourra plus collaborer avec eux, son tweet étant jugé abominable et relevant d’un « discours de haine ». L’intellectuel se retrouve alors privé de sa chronique bimensuel dans le média, à la plus grande joie de l’extrême droite.
L’Union brésilienne des écrivains (UBE) prend alors sa défense et dénonce une machination juridique ayant pour but d’attaquer la liberté d’expression au Brésil au profit des idées des mouvements d’extrême droite et néo-pentecôtistes. En effet, les détracteurs du romancier font appel à l’association des juristes évangéliques (Anajure) afin d’intimider quiconque essaie de les critiquer. Ce large groupe réunit 700 juristes qui œuvrent à protéger les intérêts des fidèles des mouvements religieux évangéliques.
Pour des experts du droit brésilien, la mobilisation des pasteurs relève du harcèlement judiciaire et représente un risque pour la liberté d’expression. Le docteur en droit de l’Université de São Paulo (USP) Leonardo Rosa, dans une interview pour le journal Nexo, rappelle qu’au Brésil les manifestations de haine ou les critiques à l’encontre des autorités sont régulièrement punies et sont même permises par le Tribunal Federal Suprème (STF) qui ne s’est pas doté de lois protectrices de la liberté d’expression. Dans le même temps, porter atteinte à la dignité de quelqu’un est considéré comme un crime par la loi brésilienne, de telle sorte que n’importe qui peut demander des compensations s’il se sent atteint par un message. Ceci a pour conséquence de créer une zone d’ombre pour la liberté d’expression et la démocratie brésilienne.
C’est dans cet angle mort que viennent s’immiscer les pasteurs et les proches du gouvernement. En portant des attaques juridiques répétitives et identiques, en exigeant entre 10 000 et 20 000 réais de compensation pour atteinte à l’intégrité morale, ils empêchent l’écrivain d’exercer son travail. Aujourd’hui, l’ensemble de ces attaques se chiffrent à 143 et atteignent la somme absurde de 2,5 millions de réais. Ces chiffres ahurissants viennent légitimer l’action des chefs religieux.
Le futur semble sombre pour l’écrivain. Confiné dans son appartement de São Paulo pour cause de crise sanitaire, il prévoit déjà de faire remonter son cas au plus haut tribunal brésilien. Il n’a néanmoins aucune garantie de pouvoir se tirer de cette situation et devra peut-être se résoudre à quitter son pays. Dans cette guerre idéologique, João Paulo Cuenca devra se battre pour ne pas laisser cette victoire au fanatisme religieux brésilien.
Étienne FAIVRE