En négociation depuis plus de vingt ans, l’accord de libéralisation entre l’Union européenne et le Mercosur, signé en juin 2020, devait être suivi cet automne d’une ratification par les Parlements des vingt-sept pays de l’Union européenne. Rien ne se passe comme prévu. Le Brésil fait face à une opposition résolue pour son traitement de la forêt amazonienne et essaie de redorer son blason en concentrant ses attaques à l’endroit de la France. L’avenir de l’accord reste incertain.
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Le 22 novembre, à l’occasion du G20 qui s’est tenu en ligne, sommet qui rassemble les dirigeants des vingt nations les plus puissantes de la planète, Jair Bolsonaro, le dirigeant d’extrême droite du Brésil a multiplié les déclarations à propos du respect de l’environnement brésilien et pointe du doigt la France en particulier qui, selon lui, entrave le processus de ratification du traité de libre-échange entre le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) et l’Union Européenne. Il fait face à des attaques selon lui « injustifiées » : « aujourd’hui, notre pays exporte un énorme volume de son agriculture durable et de qualité […], nous sommes responsables à l’échelle mondiale de moins de 3 % des émissions de gaz à effets de serre alors que nous faisons partie des dix premières économies mondiales […], nous restons déterminés à poursuivre un développement durable […], nous continuerons de protéger l’Amazonie. »
Le Brésil cherche ainsi à bonifier son image afin de répondre aux accusations des pays européens au sujet de la déforestation intensifiée depuis le début du mandat de M. Bolsonaro. Les attaques se concentrent sur la France. Le 16 novembre, à l’occasion de la retransmission hebdomadaire de son direct sur Facebook, il a accusé la France d’entraver l’application du traité de libre-échange entre le Mercosur et l’UE : « La France est notre concurrent en termes de matières premières. Notre gros problème pour la progression de l’accord Mercosur-UE est justement en France. Nous faisons tout notre possible, mais la France, défendant ses intérêts, nous rend cette affaire impossible. » Depuis que le président d’extrême droite dirige ce « pays d’avenir », les relations entre la France et le Brésil, sont tendues et prennent parfois un tour insultant. Pourtant, l’inquiétude de la France envers les conséquences environnementales de l’exploitation agricole à outrance menée par les firmes agroalimentaires brésiliennes semble justifiée, de même que la peur des agriculteurs français de subir de plein fouet les prix compétitifs des produits agricoles latino-américains. En bref, a souligné M. Bolsonaro, la France, « moins compétitive » que le Brésil, défend les intérêts de son industrie agro-alimentaire.
Les objections à la ratification de l’accord demeurent puissantes et s’expriment en France mais aussi en Europe et dans le monde. La superficie déforestée chaque année, depuis l’accès du président climatosceptique au pouvoir, est bien supérieure aux années antérieures à son arrivée au Palais de l’Aurore (Palácio da Alvorada). L’homme surnommé « le Trump tropical » essuie ainsi de nombreuses critiques de la communauté internationale à propos de sa gestion de l’environnement, surtout en 2019, et les images marquantes d’incendies gigantesques durant sa première année au pouvoir. Pourtant, lors du sommet virtuel du G20, le président d’extrême-droite dénonçait des « attaques injustifiées » et « démagogiques » qui émanent de pays « moins compétitifs » et « moins préoccupés par le développement durable » que le Brésil. Bolsonaro tonne qu’il « présente des faits, des données concrètes, pas des phrases démagogiques qui rabaissent le débat public et portent préjudice à la cause que (ses détracteurs) prétendent défendre. »
Le 9 novembre les ministres du commerce de l’UE se réunissaient en visioconférence. Alors que la présidence allemande de l’UE avait fait de l’accord avec le Mercosur une priorité, aucun vote n’a eu lieu en raison des trop vives oppositions exprimées dans de nombreux pays : selon les détracteurs du traité de libre-échange, « c’est une première victoire, qui en appelle d’autres ». La position du gouvernement français restait claire : il y a un besoin d’assurance sur le respect de l’accord de Paris (pas d’accroissement de la déforestation et normes phytosanitaires européennes respectées). Les experts en environnement et les ONG assurent que le gouvernement Bolsonaro a affaibli les agences de contrôle environnemental et que son discours en faveur des activités extractives dans les aires protégées favorise la déforestation et les incendies de forêt. Il y a deux semaines, le vice-président Hamilton Mourão a fait un voyage en Amazonie avec des ambassadeurs de huit pays, dont des représentants de l’Allemagne et de la France, dans le but d’améliorer l’image du gouvernement.
Jamais un accord de libéralisation du commerce n’avait été aussi contesté : près de 80 % des personnes interrogées dans plusieurs pays européens (Allemagne, France, Espagne, Pays-Bas) veulent que l’accord UE-Mercosur soit abandonné. La mobilisation citoyenne pour le rejet de cet accord « voitures contre bétail », l’opposition délibérée de Parlements nationaux (Autriche, Wallonie, Pays-Bas, Irlande), empêchent aujourd’hui la Commission européenne et les lobbys économiques de parvenir à leurs fins. C’est une première victoire pour les organisations de la société civile qui ne cessent d’alerter l’opinion publique et les gouvernements sur les dangers sociaux, écologiques, sanitaires que porte l’accord UE-Mercosur. Durant la première semaine de novembre, près de 100 000 messages ont été envoyés à Emmanuel Macron et à ses ministres pour demander l’abandon de l’accord UE-Mercosur.
Des collectivités territoriales mènent aussi ce combat. Ainsi, la ville de Grenoble s’est déjà déclaré « en faveur de l’abandon de l’accord UE-Mercosur et en faveur de la relocalisation écologique et solidaire. ». À l’échelle européenne, plus de 1 850 collectivités locales membres de la « Climate Alliance » viennent aussi de s’opposer à l’accord avec le Mercosur. Ce lundi 9 novembre, plus de 190 économistes expliquent dans une lettre ouverte combien les données produites par la Commission européenne pour justifier des gains économiques attendus d’un tel accord sont fragiles, alors que d’autres études « montrent que l’impact net réel de la libéralisation du commerce sur les revenus, l’emploi, la productivité du travail, l’innovation et la compétitivité pourrait bien être négatif. » Ils appellent la Commission à mener une étude d’impact plus sérieuse. Pour autant, beaucoup de décideurs européens cherchent encore à sauver l’accord UE-Mercosur et envisagent annexes et études dans une tentative désespérée de rassurer sur des sujets comme la déforestation. En réponse, le président brésilien a menacé de révéler une liste de pays qui critiquent sa politique environnementale et achèteraient du bois récolté illégalement au Brésil. Selon la presse brésilienne, cela fait référence à une opération de la Police Fédérale, en 2017, au cours de laquelle du bois illégalement extrait d’Amazonie a été saisi et destiné à des entreprises de plusieurs pays (notamment l’Allemagne, la Belgique, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni).
Ce débat sur la ratification de l’accord de libre-échange UE/Mercosur a lieu au moment où la crise sanitaire pose en des termes nouveaux la question de la souveraineté alimentaire et où les urgences climatiques alarment les opinions publiques. Or, 96 % du soja utilisé dans l’UE est importé. Le soja brésilien est le principal responsable de la déforestation sur le sol brésilien, donc de la production de CO2. Les ONG soulignent que le modèle de culture du soja hautement industrialisé dans les pays du Mercosur fait peser une grave menace sur l’environnement et la santé humaine. Ce modèle est également présent dans presque 100 % des terres produisant du soja en Argentine !
Les lobbies de l’agroalimentaire français ont leur part dans l’opposition à l’accord mais ce ne sont pas les seuls opposants. Des pays européens et de grandes ONG engagés pour la transition écologique se manifestent. Pour Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace, « il est urgent que la France acte définitivement l’abandon de cet accord qui engendrera indubitablement une hausse de la déforestation dans des écosystèmes qui battent déjà des records de destruction. » Pour Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, « la relocalisation, notamment de notre alimentation, ne pourra être effective et généralisée sans des politiques de régulation des marchés et de protection économique du monde paysan qui passent par le refus de ce genre d’accords. » Les débats en cours sur l’accord UE/Mercosur concentrent les problématiques mondiales de l’ère post-pandémie : santé, environnement, changement climatique, souveraineté sur les biens essentiels. Les mobilisations sur ces enjeux ne sont pas près de s’éteindre.
Julie DUCOS