La constitution d’un marché légal pour le cannabis continue son chemin en Amérique latine. À une semaine d’intervalle, le Mexique et l’Argentine votaient des lois allant dans le sens d’une plus grande tolérance envers les producteurs et les consommateurs de marihuana. Bien que le continent reste divisé sur cette question, la marihuana s’inscrit avec toujours plus de fréquence dans l’agenda politique.
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Le 19 novembre dernier, le Sénat mexicain votait largement en faveur d’une dépénalisation du cannabis et de son utilisation à des fins aussi bien médicinales que récréatives. Le projet de loi doit maintenant être approuvé par le Parlement et promulgué par le président Manuel López Obrador. À la fin du parcours législatif, le Mexique deviendrait le plus grand pays du monde à avoir légalisé, sous toutes ses formes, la consommation de marihuana. Le projet de loi prévoit que les citoyens puissent avoir en leur possession jusqu’à vingt-sept grammes de la plante (contre cinq grammes auparavant) et aient le droit de posséder jusqu’à six plantes de cannabis chez eux. À terme, après la création de l’Institut mexicain du Cannabis, on pourrait voir fleurir des coffee-shops à partir de 2022 dans les rues de Mexico.
De multiples conséquences pour le Mexique
En tant que deuxième producteur de cannabis au monde, cette loi est loin d’être anodine pour l’économie mexicaine. La marihuana étant la drogue la plus consommée dans le pays, sa légalisation octroierait à l’État mexicain des rentrées financières non négligeables. Des rentrées d’argent qui ne se limiteraient pas au seul territoire national : grâce au T-MEC (le traité de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique), la production mexicaine pourrait se transformer en un produit d’exportation pour atteindre les marchés des trente États US à avoir légalisé l’utilisation récréative ou médicinale de la marihuana. D’après les derniers chiffres publiés par le groupe Brightfield, une société spécialisée dans l’industrie du cannabis, le marché de la marihuana aux États-Unis pourraient atteindre les quinze milliards de dollars en 2025. Grace à son climat favorable à la production de cannabis, ainsi que son insertion économique dans l’économie mondiale, le Mexique pourrait être un acteur incontournable de la production légale de cette plante. D’autre part, la moitié des délits pénaux en lien avec le milieu de la drogue au Mexique sont liés au commerce de la marihuana. Sa dépénalisation permettrait de désengorger les tribunaux du pays et réorienter ses politiques répressives à d’autres réseaux et d’autres drogues.
Un assouplissement des règles pour le cannabis médicinal en Argentine
Une semaine avant, c’est à l’autre extrémité du continent latinoaméricain que la plante faisait parler d’elle. Le 12 novembre, la loi 27.350 est modifiée via décret par le président Alberto Fernández. Il s’agit de nouveaux éléments venant compléter la loi de 2017, autorisant la consommation de marihuana à des fins médicinales. Ces modifications comprennent l’approbation de l’auto-culture pour les patients, ainsi que la mise à disposition gratuite par l’État aux patients les moins favorisés ainsi que la production publique et privée d’huile de cannabis et de ses dérivés. La loi prévoit une réhabilitation du Programme National du Cannabis qui permet d’enregistrer producteurs domestiques et clubs de producteurs. Jusqu’alors, une autre loi condamnait pénalement les personnes en possession de plants de cannabis d’une peine pouvant aller jusqu’à quinze ans de prison. Cela entraînait un recours systématique au marché noir. De plus, la loi de 2017 limitait la consommation médicinale et la recherche au seul cas de l’épilepsie, clause abrogée grâce aux modifications du mois dernier.
Pour autant, le pays ne compte pas s’arrêter là puisqu’un nouveau projet de loi est déjà en préparation au Parlement dans le but de remplacer la loi 27.350, et qui permettrait une régulation plus intégrale du commerce de la plante. Elle comprend non seulement l’auto-culture, mais aussi la culture communautaire, les clubs de culture, et elle réglementerait toute l’activité qui encadre l’accès au cannabis. Le projet jette également les bases d’une production nationale avec distribution et commercialisation.
Un continent divisé sur la question
Il semblerait donc que les gouvernements de la région commenceraient à vouloir changer de politiques, après des décennies de politiques répressives qui ont échoué à limiter la taille des marchés noirs. Petit à petit, l’Argentine et le Mexique empruntent le sillon creusé par l’Uruguay, il y a presque dix ans. Ce pays de 3,5 millions d’habitants est le seul au monde à avoir légalisé complètement le cannabis et à compter sur un système intégral de régulation, permettant le contrôle de la plante de la graine à la vente au public, via des clubs de consommateurs ou les pharmacies (depuis juillet 2017). De plus, entre 2016 et 2020, l’usage du cannabis à des fins médicinales a été approuvé dans six pays, en plus de ceux précédemment cités (Colombie, Chili, Équateur, Paraguay, Pérou et Porto Rico). Pour autant, la région reste divisée sur la question. Dans de nombreux pays l’utilisation du cannabis reste toujours illégale sous toutes ces formes : la Bolivie, Cuba, Guatemala, Honduras, Nicaragua, El Salvador, la République dominicaine et le Venezuela. Dans le cas du Brésil, le plus grand marché de la région, la Ley de Drogas (Loi sur les drogues) est encore fortement répressive, et les débats sur la dépénalisation du cannabis à la Cour Suprême s’enlisent depuis plus de cinq ans. Depuis 2017 cependant, des autorisations peuvent être octroyées dans des circonstances limitées (10.000 autorisations pour le moment) pour avoir accès à des médicaments à base de cannabis.
Comme le souligne le dernier rapport de l’UNODC (le Bureau des Nations Unies sur la criminalité et les drogues), les populations les plus défavorisées sont les premières à subir les conséquences des trafics illégaux de drogue. De plus, les traitements médicaux à base de cannabis sont vendus principalement dans les pays les plus riches du globe. En 2018, 90 % de ces traitements étaient distribués en Europe ou en Amérique du Nord. L’assouplissement des politiques liées à la consommation de la marihuana (à des fins médicinales ou récréatives) permettrait de rééquilibrer ce paradigme social, tout en entraînant des conséquences sur le plan économique, agricole et judiciaire.
Romain DROOG