Andres Manuel López Obrador, AMLO, premier magistrat mexicain, est l’un des rares chefs d’État à ne pas avoir félicité Joe Biden, vainqueur des présidentielles du 3 novembre dernier aux États-Unis. Certes Joe Biden ne s’est jamais défini comme un homme de gauche. Mais compte tenu de leurs engagements politiques respectifs, on aurait pu penser que Biden et AMLO avaient sinon tout du moins beaucoup en commun. Qui plus est la reconnaissance du résultat, diplomatiquement n’a rien d’extraordinaire. Preuve en est l’attitude de la quasi-totalité des gouvernements du monde, qui ont envoyé un message de sympathie officielle au gagnant.
Photo : Le Temps
La non-reconnaissance du succès remporté par le candidat démocrate, bien qu’entourée de bémols renvoyant au calendrier électoral nord-américain, encore ouvert, interpelle. Une mise en contexte s’impose pour essayer de comprendre la réserve manifestée par le président mexicain. Et au-delà de ce silence à quelle idéologie et à quel programme, renvoient ses engagements politiques et ses actes de gouvernement ? AMLO s’est toujours défini comme un Mexicain proche du peuple. Héritier d’une histoire commencée bien avant l’arrivée des Européens, faite de batailles contre les spoliateurs et les corrompus, nationaux comme étrangers. Ses modèles, le curé Hidalgo, Benito Juárez, Lázaro Cárdenas ont ferraillé contre Espagnols, Français, Étatsuniens pour rétablir une souveraineté blessée, rendre au peuple mexicain des biens qui lui avaient été volés. Seule la référence au président Francisco Madero victime d’un déni démocratique, à la veille de la Révolution mexicaine, se rapporte à un accident politique local.
La quatrième transition démocratique, (ou 4 T), mot d’ordre de sa campagne électorale présidentielle, s’adosse à ces grandes figures et à leur héritage : défense sans concession de l’indépendance du pays, par les armes ou par la nationalisation d’actifs étrangers, affirmation tout aussi résolue de la souveraineté populaire contre ceux qui tentent de la confisquer par corruption électorale et morale. Cet éloge de la vertu, suppose la mobilisation de l’État, afin d’en faire l’instrument d’une bonne conduite collective, économique, énergétique et pétrolière, électorale et sociale. Le parti-mouvement auquel appartient AMLO porte le nom cohérent avec ce qui précède, de Morena, Mouvement de rénovation nationale.
L’équateur idéologique présidentiel ignore ce qui est extérieur. AMLO, reçoit les visiteurs étrangers. Mais, aujourd’hui comme président, hier comme maire de la capitale, il ne voyage pas. Il ne fait pas plus allusion dans ses discours, dans ses écrits, à une quelconque proximité avec des penseurs, des politiques étrangers. Au contraire dans le discours enregistré qu’il a envoyé pour être diffusé à l’ouverture de la dernière assemblée générale de l’ONU, il a fait une allusion exceptionnelle à un chef d’État étranger. Le rayonnement du Mexique va-t-il dit a dépassé ses frontières au point qu’un chef d’État Mussolini, avait été baptisé Benito (comme Juarez) par ses parents.
La défense du peuple, les grands chantiers créateurs d’emplois, la mise en œuvre de programmes sociaux, tamisés par le souverainisme et la vertu, ont déterminé les priorités. Les moyens budgétaires ont ciblé deux bassins financiers : les fonctionnaires, les dotations de l’État en général et les responsables de toute nature, agents publics, responsables politiques, chefs d’entreprise convaincus de corruption. Dès le soir de sa victoire, AMLO a écarté toute réforme fiscale, la perspective d’un accroissement de l’impôt pour les plus riches et les entreprises. Il a vanté l’urgence de l’austérité publique. Les salaires des fonctionnaires de catégorie A ont été réduits. La résidence des chefs d’État a été abandonnée, la flotte aérienne présidentielle et ministérielle a été vendue aux enchères. De grands contrats infrastructurels, conclus avant son arrivée au pouvoir, ont été annulés. Et d’autres destinés à valoriser l’exploitation d’énergie fossile et non renouvelable ont été annoncés. Sur ces bases, la garantie de stabilisation de la charge fiscale, la participation à de nouveaux grands travaux, le patronat a été invité à coopérer avec le gouvernement.
La relation avec les États-Unis, est cruciale historiquement pour tout chef d’État mexicain. On connait la boutade attribuée au dictateur Porfirio Díaz, “Pauvre Mexique, si loin de Dieu, si près des États-Unis”. Le souverainisme revendiqué par AMLO l’a naturellement conduit à critiquer ses adversaires, pendant sa campagne électorale de 2017/2018, restés sans voix face aux attaques blessantes du président étatsunien Donald Trump. De meeting en meeting il a épinglé avec force Donald Trump, Il l’a en particulier accusé le 12 février 2017, à Los Angeles, de “traiter nos compatriotes migrants comme les juifs persécutés par Hitler”. Deux ans plus tard AMLO a donné un coup de pouce électoral à Donald Trump. Faisant une entorse à son refus de tout voyage à l’étranger il l’a en effet visité, à Washington, le 8 juillet 2020. Autre particularité de ce déplacement, il a évité de rencontrer l’adversaire de Donald Trump, Joe Biden, ainsi que les représentants de migrants mexicains résidant aux États-Unis.
Comment comprendre cet impromptu bilatéral insolite, entre un président des États-Unis d’extrême droite et son voisin mexicain nationaliste ? Soumis dès sa prise de fonction à un chantage commercial brutal, la hausse de 25 % des droits de douane sur les produits mexicains exportés vers les États-Unis, si le Mexique ne coupait pas les flux migratoires vers le nord, aux appels bruyants adressés aux entreprises automobiles présentes au sud du Rio Grande, à se rélocaliser, AMLO a choisi de donner le change. Il ne paierait pas le mur de Donald Trump. Mais il imperméabiliserait la frontière, avec la garde nationale récemment créée pour lutter contre le crime organisé.
Le souverainisme pour autant gardait ses vertus rhétoriques. Il n’allait plus viser les États-Unis, mais l’ancien colonisateur espagnol. Accompagnant les oukases de Donald Trump, on a assisté à une escalade verbale d’AMLO visant le gouvernement progressiste espagnol (PSOE/PODEMOS) : demande d’excuses publiques pour le passé colonial, commentaires désobligeants sur l’échec de la politique espagnole anti-coronavirus, justificatif de l’absence de félicitations adressées à Joe Biden, pour ne pas répéter la précipitation coupable de José Luis Rodríguez Zapatero, président du gouvernement espagnol qui aurait en 2006 adressé un chaleureux message à Felipe Calderón vainqueur apparent de la consultation. Les autorités espagnoles ont fait le dos rond. Mais du Chiapas, l’EZLN, a fait le commentaire suivant, “Cela suffit de jouer avec un passé lointain (..) au nom d’un nationalisme éculé”.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY