Le réalisateur et documentariste, ancien sénateur et député argentin, Fernando « Pino » Solanas est décédé à Paris vendredi 6 novembre du Covid-19, a-t-on appris ce samedi. Proche du président argentin Alberto Fernández, il était depuis cet été ambassadeur de l’Argentine à l’Unesco.
Photo : Ciudad CCS
Il avait échappé à une attaque à main armée en 1991, à la dictature militaire mais c’est finalement la Covid-19 qui aura vaincu Fernando Solanas. Le cinéaste avait annoncé il y a quelques semaines que lui et son épouse avaient contracté le virus. C’est un cinéaste de premier plan qui a profondément marqué le cinéma latino-américain, un homme engagé et haut en verbe et en couleurs qui disparaît.
« Il ne suffit pas d’interpréter le monde, il faut le changer », cette phrase attribuée à Karl Marx, Pino Solanas en a fait son mantra avec sa caméra pour arme de poing. Tout son cinéma, depuis ses débuts dans les années soixante, jusqu’à son dernier documentaire sur les défis environnementaux de l’agro-industrie en Argentine, sont ancrés, enracinés dans les problématiques politiques et sociales de son pays. Argentin avant tout. S’il est aussi l’auteur d’œuvres de fiction comme Tangos, l’exil de Gardel, son long métrage peut-être le plus connu de ce côté-ci de l’Atlantique, avec Marie Laforêt et Philippe Léotard (récompensé d’un Grand Prix spécial du Jury à Venise en 1985 et César de la meilleure musique l’année suivante pour les compositions d’Astor Piazzola), puis El Sur, également primé, c’est surtout son œuvre documentaire qui marque son temps.
L’incandescence des brasiers
Né le 16 février 1936 à Buenos Aires, c’est en 1967 que Pino Solanas fait irruption avec un documentaire fleuve incandescent à l’image de son titre : L’Heure des brasiers qui est devenu un film emblématique du cinéma politique latino-américain. Dans les trois volets du film, le réalisateur gratte les plaies de l’Amérique latine et de l’Argentine. Placé sous le signe du Che Guevara, d’Aimé Césaire, de Frantz Fanon et de Juan Perón, le film raconte la naissance du néocolonialisme en Amérique latine et plus particulièrement en Argentine, quand l’oligarchie créole agro-exportatrice, associée à la bourgeoisie industrielle, livre les territoires qui ont récemment gagné leur indépendance, à l’Angleterre et aux États-Unis. De nouvelles puissances coloniales remplacent le joug espagnol. Sur un plan cinématographique, une œuvre chorale, foisonnante, d’une grande liberté formelle.
Les années Menem
Pino Solanas reviendra à la charge des années plus tard avec un triptyque encore, pour dénoncer la corruption des années de gouvernement de Carlos Menem, l’indigence de ses élites et la faillite économique de l’Argentine, prélude à la grave crise économique des années 2000 : Mémoire d’un saccage (il évoque le « hold up » de Menem sur l’Argentine) et La dignité du peuple puis l’Argentine latente, sur les nouvelles formes d’organisation de base, nées de la crise. Plus récemment, dans son dernier documentaire, Le grain et l’ivraie, sorti en 2018 (le titre originel Viaje a los pueblos fumigados, « voyage dans les villages fumigés » est plus explicite) Pino Solanas s’était intéressé aux graves méfaits de la monoculture du soja OGM sur l’environnement et sur l’impact de l’utilisation intensive des agro toxiques sur la santé des habitants des zones agricoles.
« J’avais deux vocations, l’une artistique, l’autre politique, disait-il. Le cinéma a permis la fusion de ces deux penchants. » Engagé sur le terrain politique, il a tenté de fédérer une famille politique autour de son Projet sud, en rassemblant de plusieurs courants de gauche, des syndicalistes et des militants de base, et sera élu député puis sénateur. Pino Solanas se lance même dans la campagne présidentielle en 2007. Au Sénat, il a récemment pris fait et cause pour la libéralisation de l’avortement en Argentine. Un combat auquel son fils Juan, également cinéaste, a consacré un film, La vague verte, verts comme ces foulards que portent les militant(e)s de la libéralisation de l’avortement.
Péroniste engagé, Pino Solanas a aussi consacré plusieurs films à l’héritage politique de Juan Perón, figure tutélaire de la politique argentine au XXe siècle. « On se souviendra de lui pour son art, son engagement politique et son éthique toujours mis au service d’un pays meilleur », a réagi à l’annonce de sa disparition le ministère argentin des Affaires étrangères.
D’après RFI – Yahoo Actualités