Les revendications des peuples autochtones et des ex-Farcs (Forces armées révolutionnaires de Colombie) démobilisés demandant le respect des accords de paix viennent s’ajouter à la longue liste des griefs de la population colombienne contre le président Iván Duque. Alors que les appels à la manifestation et à la grève générale se multiplient dans les grandes villes du pays pour protester contre la montée incessante des violences et la mauvaise gestion de la pandémie, le gouvernement est attendu au tournant.
Photo : CGSP La Silver Economie
Ce sont plus de 7500 représentants de peuples indigènes qui se sont rassemblés devant le palais présidentiel le 18 octobre dernier pour effectuer une minga (action collective en quechua) et exiger une rencontre avec Iván Duque. Ce mouvement, parti le 10 octobre de la province du Cauca à 400km au sud-ouest de la capitale, entend alerter sur l’insécurité grandissante de la vie dans cette région reculée qui subit depuis des décennies les violences liées au trafic de drogue et au conflit armé. Avec l’assassinat d’un ancien leader communautaire et de son épouse dans la ville de Suárez mi-octobre, le nombre d’indigènes tués s’élève à 167 depuis l’arrivée au pouvoir de Duque en 2018.
Les 115 peuples indigènes de Colombie représentent 4,4% des 50 millions d’habitants du pays. Mais s’ils sont une des franges de la population les plus vulnérables économiquement, ils sont également capables de se mobiliser très rapidement et efficacement. « Si Iván Duque ne se montre pas à Bogota, nous repartirons […] et nous agirons », a ainsi déclaré Hermes Pete, responsable du Cric (Conseil régional indigène du Cauca), faisant référence à de possibles blocages le long de la Panaméricaine, l’autoroute qui relie la Colombie à l’Equateur. Car si Claudia López, la maire de Bogotá a salué le mouvement, le président a quant à lui refusé une fois de plus de les rencontrer, préférant envoyer une délégation, tout en critiquant leurs “ultimatums” et leurs “regroupements” en pleine pandémie.
Mais les demandes de ces peuples rassemblent et, toujours d’après Hermes Pete « la brèche entre les indigènes et la ville avec ses étudiants et ses travailleurs commence à se fermer ». En effet, leurs revendications rejoignent celles des mouvements afro-colombiens, des jeunes et des syndicats. La mobilisation contre le gouvernement, débutée en novembre 2019 reprend donc de plus belle après l’interruption dû aux vacances de fin d’année et au confinement de cinq mois initié le 25 mars. La grève nationale annoncée par les syndicats était d’ailleurs la quatrième depuis l’arrivée de Duque au pouvoir. Elle intervient dans un contexte d’aggravation des conditions de vie dû à la crise du Covid-19 dans ce pays où, en 2019, 35,7% de la population vivait sous le seuil de pauvreté, des chiffres qui montent jusqu’à 43,9% dans les communautés autochtones.
Aux 30 000 morts de la pandémie s’ajoutent ceux du regain de la violence dans plusieurs secteurs de la société. D’après les chiffres de l’Institut colombien pour le développement de la paix (Indepaz), 68 massacres orchestrés par les groupes armés financés par le trafic de drogue ont eu lieu sur le territoire en 2020. Car si le désarmement des Farcs a permis une baisse de l’intensité du conflit, il a eu pour conséquence de renforcer la présence de l’ELN (l’Armée de Libération Nationale) et des narcotrafiquants dans les zones anciennement contrôlées par la guérilla. Le gouvernement a cependant frappé un grand coup fin octobre en abattant dans le nord-ouest du pays Andrés Felipe Vanegas alias Uriel, l’un des principaux chefs de l’ELN, très présent sur les réseaux sociaux. Responsable selon Duque « d’enlèvements, d’assassinats de responsables syndicaux, de harcèlement envers les populations et de recrutement de mineurs. » mais aussi de l’attentat à la voiture piégée de janvier 2019 à Bogotá qui avait causé la mort de 22 personnes et entraîné la suspension des pourparlers de paix avec l’ELN, Uriel était l’un des 2300 combattants du mouvement encore présents dans plus de 110 municipalités du pays.
Mais les peuples indigènes et les activistes ne sont pas les seuls touchés, dernière manifestation en date, “le pèlerinage pour la vie et la paix” des anciens guérilleros des Farcs ayant parcouru plus de 200km à pied pour arriver à Bogotá le 1er novembre. Ils demandent, eux aussi, une application plus stricte des accords de paix censés les protéger et veulent alerter sur le nombre croissant d’attaques dont ils sont victimes. En effet, sur les 13 000 combattants ayant déposé les armes en 2016, près de 236 ont été assassinés. Pris entre les attaques des forces de l’ordre, des narcotrafiquants et de l’ELN, les ex-Farcs espèrent eux aussi pouvoir dialoguer avec Duque et « appeler l’attention du pays pour […] rejeter les actions violentes de tous les acteurs, y compris l’Etat. »
Mais si les manifestations se multiplient, la réponse des forces de l’ordre ne fait qu’ajouter à la violence ambiante et peut conduire à des situations dramatiques. En septembre dernier alors que des milliers de personnes marchaient à Bogotá contre les violences policières après la mort de Javier Ordóñez, un avocat tué par des officiers à coup de taser, les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants, tuant 13 personnes et en blessant près de 200. Cet usage disproportionné de la force sur les citoyens par des policiers sur-militarisés et habitués aux affrontements avec la guérilla et les narcotrafiquants a grandement affecté l’image de l’institution auparavant plutôt populaire pour son rôle pendant le conflit armé.
Face à cette surenchère de violences, le gouvernement est de plus en plus critiqué et Iván Duque perd en popularité. D’après deux sondages de l’agence Invamer paru fin octobre, 60% des colombiens sont insatisfaits de la gestion du pays et regrettent que le président ait « l’arrogance de ne pas vouloir écouter les organisations sociales, telles que la Minga. » Les syndicats appelant à la mobilisation pour les 19, 21 et 25 novembre prochain, Duque aura donc beaucoup à prouver et surtout des profonds changements à apporter s’il veut regagner la confiance de son peuple et apaiser la situation.
Elise PIA