« Le Coccobacille de Herrlin », première traduction française du roman de l’Argentin Arturo Cancela

Si Le Coccobacille de Herrlin connut un vif succès lors de sa parution en Argentine en 1922, il n’en reste pas moins aujourd’hui d’une actualité frappante. Ce n’est pas anodin si les édition Corti ont fait le choix de remettre ce récit au goût du jour en proposant sa traduction française : fiasco politique, inanité des choix institutionnels, « psychoses collectives engendrées par l’apparition d’un fléau inconnu » (comme l’indique la quatrième de couverture), tous les ingrédients sont là pour tendre vers des problématiques de toujours. Et pour nous faire goûter à une histoire pleine d’humour.

Photo : Edition Corti

À l’image de son protagoniste, le savant suédois Augusto Herrlin missionné en Argentine pour trouver un remède scientifique contre la prolifération des lapins, Le Coccobacille est un court roman aux allures tant fantaisistes qu’incongrues. Par exemple, quand le secrétaire du Département de Protection agricole propose au savant d’« aller faire un tour », ce dernier, prenant la phrase au sens littéral, se met à dessiner des orbites en quatre temps autour du secrétaire afin que celui-ci puisse admirer sa toge. Cette anecdote n’est que l’une des mascarades politiques raillées dans le livre ; car si la chasse au lapin métaphorise toute croisade politique, il est tentant de la lire comme le miroir de préoccupations contemporaines.

Dans ce livre, l’humour côtoie le sérieux académique des rapports de recherche, quand le ton administratif et les grands discours sont tournés en ridicule. Ainsi le coccobacille apparaît-il comme le Saint-Graal des agriculteurs argentins, trouvaille miracle contre les ennemis rongeurs dévorant les terres du Sud. La planification d’une guerre institutionnelle contre des lapins révèle à grands traits une bureaucratie futile gouvernée par des hommes politiques fantoches… à tel point que dans ce branle-bas de combat, les sous-sections administratives prolifèrent à l’image des lapins. Dans cette traque organisée, les personnels de l’État argentin sont dispersés jusqu’à ce que la vacuité des bureaux en devienne caractéristique.

L’épique tourne au burlesque ; ainsi commence le chapitre XI : « Où le coccobacille de Herrlin entre en action ». L’avenir du pays repose sur ce microbe, pendant que les hommes parlent et mangent : on se repaît de buffets qui n’en finissent plus, paroles en l’air et panses bien remplies. Mais Le Coccobacille de Herrlin, et c’est ce qui fait sa saveur, se colore d’une diversité de registres : un brin de picaresque dans la caractérisation du savant suédois, une touche de vaudeville (il délaisse sa femme en Suède, qui rouspète en l’attendant), un je-ne-sais-quoi de roman sentimental (il tombe finalement amoureux de sa logeuse).

Si ce roman d’Arturo Cancela est un peu plus long qu’un apologue, il en a quelques attributs. La guerre contre les lapins se fait image quasi allégorique de toute lutte politique démesurée. D’ailleurs, le personnel y est : extrémistes, relativistes, patriotes, populistes, idéalistes. Cancela va jusqu’à tourner en dérision les épisodes les plus marquants de l’Histoire. La science faillit infléchir son cours – occasion inespérée de nourrir le grand Récit National. Mais l’opportunisme de la campagne électorale argentine a tôt fait d’instrumentaliser cette guerre lapinesque, qui finit par tourner à la farce. Herrlin termine en légume suite à une blessure causée par des attentats. Après ce revers de situation, le personnage principal se voit déchu de sa réputation et décrédibilisé. C’est par le hasard qu’on en arrive tout compte fait à une fin digne du conte traditionnel, mais par quels détours rocambolesques ! On en reprendrait bien un peu. Une lecture agréable, à consommer sans modération, qui redonne un recul plus que nécessaire, sans être dénuée d’une légèreté indispensable en ces temps incertains.

Lou BOUHAMIDI

Le Coccobacille de Herrlin d’Arturo Cancela, traduit de l’espagnol (Argentine) par Balkis Aboueleze, éd. Corti, 152 p., 16 €