Au pouvoir depuis avril 2013, Nicolás Maduro, l’héritier politique de Hugo Chávez « reste dans cette position par le feu et le sang », selon les déclarations de l’opposant Juan Guaidó. L’autoproclamé président par intérim, en janvier 2019, a proposé la signature d’un pacte social et politique unitaire afin de boycotter le scrutin, auquel une trentaine de partis de l’opposition refuse de participer, craignant le fraude électorale.
Photo : ABC Politic
« Un roi, un peuple, une loi », ces mots du cardinal Richelieu, repris par Hitler pour faire la devise du IIIe Reich, peuvent servir d’introduction pour décrire l’actualité de la révolution chaviste : un régime patibulaire, un parlement essoufflé, une opposition démembrée, un peuple déchiré. Exposé sur la table des relations internationales, ce sont les pièces mal assemblées du puzzle Nicolás Maduro. C’est surtout le dramatique bilan après deux décennies de révolution chaviste, avec des dizaines de manifestants morts dans les rues victimes de la répression par « raison d’État ». À présent, au niveau international, d’un côté et de l’autre de la table des négociations les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Union européenne font face aux alliés du gouvernement bolivarien : la Russie, la Chine et l’Iran. Les décideurs du nouvel ordre mondial, centrés sur des intérêts géopolitiques, sont ainsi en train de jouer un tour de force qui peut faire basculer le destin du pays pétrolier lors des élections de décembre prochain.
Ces législatives suscitent parmi les déshérités vénézuéliens des espoirs considérables. Car, en tant que prélude aux élections présidentielles prévues en 2022, un tel événement électoral représente pour beaucoup le début de la fin d’une des périodes les plus sombres qu’ait connu le pays. Par conséquent, l’échiquier politique vénézuélien pourrait ainsi se redessiner complètement, surtout du côté de l’opposition. En effet, les partis opposants au régime possèdent la majorité au Parlement depuis les élections législatives de 2015. C’est pourquoi la manœuvre politique exécutée par Nicolás Maduro, au début de septembre, peut s’inscrire dans une optique de reconquête de la seule institution qui échappe à son contrôle. Ainsi, en annonçant la libération d’une centaine de figures de l’opposition, dont la plupart sont des députés de l’Assemblée nationale enfermés dans des « conditions difficiles » depuis des mois, Maduro prétend promouvoir la réconciliation national selon le communiqué officiel.
Mais en regardant de plus près, il s’agit de diviser pour régner, et cette stratégie machiavélique peut s’avérer payante pour Maduro, si l’on tient compte de l’opinion de Luis Vicente León. Selon le président de l’Institut Datanalisis, le chef de l’État cherche avant tout « à fracturer une opposition déjà divisé sur sa stratégie vis-à-vis du scrutin de décembre » : « Il y a une opposition radicale autour de María Machado, qui rêve d’une intervention militaire américaine qui n’arrivera jamais. Il y a un mouvement plus opportuniste autour de Juan Guaidó, majoritaire jusqu’ici, qui estime que le pouvoir lui revient de droit. Et il y a ce nouveau pôle autour de Capriles, fatigué de la stratégie de Guaidó qui n’a offert aucun résultat en deux ans. »
C’est là que se trouve la clé de voûte de l’actuel procès électoral. À la tête de l’opposition depuis qu’il s’est proclamé président intérimaire, il y a deux ans, le jeune député Juan Guaidó s’est lancé avec la fougue d’un apprenti conquérant dans une action concrète avec le seul but de renverser par tous les moyens le despote Nicolás Maduro. Cependant, après une succession de tentatives qui se sont soldées par des échecs retentissants, Guaidó est devenu un corps vidé de son âme.
Celui qui incarnait jadis le sentiment de frustration de tout un peuple n’a pas su, ou pu, battre le fer pendant qu’il était chaud. Et aujourd’hui, il n’arrive plus à convaincre ses compatriotes sur sa capacité à mener à bon terme ce combat. Beaucoup estiment, comme Jorge Roig, l’ancien président de l’employeur Fédécamaras, que Guaidó s’est « dynamité » lui-même, malgré le soutien manifeste des États-Unis* et la reconnaissance de son statut de président intérimaire par une soixantaine de pays. Ainsi le dégonflé Guaidó, qui revendique lui-même le titre de symbole de l’unité, illustre le paradoxe de Condorcet : la réalité des procédures démocratiques au sein de l’opposition, avec les différentes stratégies de lutte proposées au fil du temps, l’a finalement conduit dans une impasse, alors que sur le papier et avec le soutien populaire, son plan de renversement de la dictature avait à l’époque des sérieuses chances pour réussir.
Face-à-face pour le même combat, mais dans un autre registre de l’opposition se trouve candidat à deux reprises à la présidence Henrique Capriles. Battu en 2012 contre Hugo Chávez, puis seulement par 1,5 point contre Nicolás Maduro en 2013, Caprile est resté discret en attendant, replié comme un fauve prêt à bondir au moment opportun, sous l’ombre projetée par la vedette Guaidó. Or, récemment, à la suite de la perte évidente de prestige du président intérimaire, il est sorti à la lumière médiatique en se manifestant contraire à prolonger la perspective ouverte par ce dernier.
Henrique Capriles et ses partisans se sont déclarés en faveur de la participation citoyenne à cet exercice démocratique. Et même si des soupçons de fraude émaillent déjà le scrutin, le candidat de la droite, ainsi que des influents hommes d’affaires ou encore l’Église considèrent que la voie électorale prévalue sur la stratégie claudicante de Guaidó, qui reste toujours favorable au boycott des législatives et à l’intervention internationale, voire militaire comme en Libye ou en Irak.
Bref, Capriles considère cet appel aux urnes, qui aurait dû se faire en 2018, comme le seul – et le dernier – moyen de reconquête d’un espace politique. Ce n’est qu’à partir de là qu’un gouvernement légitimé par la vox populi peut être capable d’apporter une véritable mutation profonde de la condition sociale, et cela, dans le respect absolu des droits humains. Or, sur ce point particulièrement sensible, un rapport publié par l’ONU, avec le soutien de l’Organisation des États américains, accable le gouvernement chaviste à deux mois des élections.
L’enquête, menée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, assure que des « violations odieuses » qui constituent des crimes contre l’humanité, et documentés dans ce rapport, ont été commises par le gouvernement vénézuélien. « Une série de meurtres, de tortures et de disparitions signalés au Venezuela ces dernières années », avec l’assistance matérielle, logistique et humaine de la part des autorités. C’est le feu et le sang auxquels faisait référence Juan Guaidó, qui a comparé Maduro au dictateur libyen Mouammar Kadhafi, « mélangé avec Pablo Escobar, parce qu’il a été identifié comme un trafiquant de drogue et du terrorisme, mais aussi pour des crimes contre l’humanité. »
Eduardo UGOLINI
* Lire l’article publié le 19-8-2020 : «Venezuela : apparente accalmie dans l’œil de l’ouragan … »