Le 18 octobre 2019, l’augmentation du prix du ticket de métro déclenche une vague de contestation dans le pays. Le slogan “On ne se bat pas pour 30 pesos, mais contre trente ans de politique libérale” est repris dans les cortèges pour critiquer un système économique, hérité de la dictature militaire d’Augusto Pinochet, qui fait du Chili un des pays les plus inégalitaires de l’OCDE. Un an après les manifestations et alors que la pandémie de Covid-19 a aggravé ces inégalités, le référendum pour une nouvelle Constitution doit avoir lieu fin octobre.
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La crise du Covid-19 ayant repoussé l’échéance, ce vote, qui était l’une des principales demandes des manifestants, doit finalement avoir lieu le 25 octobre 2020. Les Chiliens devront alors répondre à deux questions. La première :« Voulez-vous une nouvelle Constitution ? » pour laquelle ils pourront choisir le oui (apruebo) ou le non (rechazo). Et la deuxième : « Quel type d’organe doit rédiger la nouvelle Constitution ? » qui leur propose une « commission mixte », mélange de membres élus et de parlementaires en exercice ou une « assemblée constituante » composée exclusivement de membres choisis par les votants.
À quelques semaines du plébiscite, l’opinion est divisée entre les pro-apruebo qui y voient une opportunité unique de remplacer une Constitution illégitime, instituée pendant la dictature, et les pro-rechazo qui pensent inutile de « recommencer à zéro » et redoutent que le Chili ne suive l’exemple de Cuba ou du Venezuela. Les premiers espèrent la création d’une nouvelle Constitution plus humaniste qui assurerait la santé et l’éducation pour tous en misant sur une économie, non plus néolibérale mais au « service des Chiliens. » Ils demandent également plus d’inclusion et de protection pour les groupes historiquement exclus de la population comme les Mapuches ou les classes les plus défavorisées. Les seconds, quant à eux, prônent un processus « plus institutionnel, avec certitude et stabilité » où les changements ne seraient que des « ajustements et des améliorations » faits à la Constitution actuelle, qu’ils considèrent comme parfaitement fonctionnelle, alors même que le mécontentement contre le système se fait entendre depuis plusieurs années.
Mais si les manifestations d’octobre 2019 ont fait écho aux mobilisations étudiantes de 2011 et à celles contre la réforme des retraites de 2016, elles ont aussi marqué par leur ampleur (plus de 3,7 millions de participants) et la répression mise en place par le président Sebastián Piñera qui parle alors de « guerre », impose un couvre-feu dans la capitale et nomme le militaire Javier Iturriaga, chef de la Défense nationale. Le bilan des victimes de violences policières sur cette période s’élève à 34 morts et plus de 3 400 hospitalisations. L’Institut national des droits de l’homme (INDH) a récemment annoncé avoir déposé 2 499 plaintes concernant la répression des forces armées envers la population depuis octobre. 93 % de ces plaintes concernent les actions des carabiniers et, si elle viennent principalement de la région de Santiago, couvrent l’ensemble du pays. 2 147 plaintes ont également été déposées pour actes de torture et traitements cruels envers les manifestants, dont 169 pour traumatismes oculaires.
Les associations des droits de l’homme dénoncent aujourd’hui l’impunité dont bénéficient les forces armées puisqu’un an plus tard, seul 12 % des plaintes ont été formalisées, dont seulement trois cas très médiatisés pour les traumas oculaires. Plus que de simples événements isolés, l’INDH dénonce « des pratiques systématiques qui ont cours depuis la période de la dictature civilo-militaire et qui se sont répétées précisément en raison de l’absence de sanctions efficaces à la hauteur de la gravité des crimes commis par les agents de l’État. » Le retour des rassemblements à l’approche du plébiscite, particulièrement sur la Plaza de la Dignidad de Santiago (anciennement plaza Baquedano) laisse aujourd’hui craindre une reprise de ces violences.
Autre inquiétude à l’approche du référendum, celle de la pandémie de Covid-19 toujours bien présente sur le territoire avec 450 000 cas dénombrés à l’heure actuelle. En effet, les précautions sanitaires en vigueur interdisent à toute personne porteuse du virus et à ses proches de rompre leur quarantaine. Le Servel (service électoral) a ainsi déclaré que si une personne contaminée était surprise à son bureau de vote, elle risquait d’être arrêtée, renvoyée chez elle ou dans un centre de santé et de faire l’objet de poursuites judiciaires pour « crime contre la santé publique en vertu du Code pénal. »
La situation sanitaire évoluant d’un jour à l’autre, il est aujourd’hui impossible d’estimer combien de personnes sur les 14 millions d’inscrits seront privées de vote le 25 octobre. Les carabiniers seront postés près des urnes ce jour-là et chargés d’effectuer des contrôles aléatoires. L’INDH dénonce une atteinte au droit de suffrage, d’autant plus que le report de six mois du référendum aurait pu permettre la mise en place de mesures alternatives au vote présentiel. Celles-ci devraient être possibles pour les prochaines élections, ce qui semble crucial puisqu’en cas de rédaction d’une nouvelle Constitution, l’agenda électoral s’annonce très chargé avec des votes en avril, puis en novembre 2021 et un nouveau référendum en mai 2022.
Dernière ligne droite avant le plébiscite, la campagne a commencé pour les deux camps ce vendredi 25 septembre et se poursuivra à coup de spots électoraux, de conférences en ligne et de rassemblements de soutien durant le mois d’octobre. S’il est difficile aujourd’hui d’anticiper les effets de la pandémie et du temps écoulé depuis les manifestations sur les résultats, la dernière enquête nationale publiée par l’université du Chili le 24 septembre annonce pour l’instant une victoire de l’apruebo à 82 %, à voir maintenant qui l’emportera lors du vote.
Élise PIA