Dans la collection « Paroles d’ailleurs » UGA Éditions – Université Grenoble Alpes nous livre une traduction du poète péruvien José Watanabe faite par Philippe Dessommes Flórez, avec une introduction passionnante de Ina Salazar. Le fil de la parole est le second recueil de Watanabe (Lima, 1989). L’ouvrage traduit en français comporte d’autres poèmes et quelques inédits. Cette édition offre une (re)connaissance d’un grand poète et vient après une ample et réjouissante notoriété au Pérou, en Amérique latine, en Espagne et en Angleterre.
Photo : Que Leer
José Wanatabe (1945-2007) est né à Laredo, non loin de Trujillo, grande ville du nord du Pérou. Sa mère est andine et son père, Harumi Watanabe Kawano, est un immigrant japonais arrivé au Pérou en 1919, ouvrier dans une exploitation sucrière.
Le destin semble scellé pour l’enfant né dans une province assoupie, en milieu ouvrier, dans un village poussiéreux, sans collège. Le hasard crée des bifurcations. En 1956, sa famille s’installe à Trujillo car son père gagne à la loterie, un père amoureux de la peinture et des haïkus que l’enfant entend en japonais et en espagnol. Au collège, un professeur l’initie à la grande littérature et aux romanciers péruviens. Étudiant à Lima dans les années 60, le jeune poète se trouve immergé dans « un puissant mouvement de renouveau de la poésie péruvienne ». L’esthétique nouvelle fait place à une poésie narrative et conversationnelle teintée de fortes préoccupations sociales et historiques que Ina Salazar définit comme caractéristiques des mouvements poétiques nouveaux. José Watanabe n’y est pas totalement réductible par des traits spécifiques tels que le rapprochement des cultures savante et populaire, une proximité avec la culture japonaise de son père et la quête d’un langage personnel.
Le monde de Watanabe est singulier au point qu’il est identifié comme poète « insulaire » : bien que les fréquentant, il n’appartient pas aux mouvements de la décennie 70 qui veulent faire table rase du passé. Lui s’appuie sur la mémoire collective et personnelle et cherche sa voix entre classiques et novateurs.
Comment expliquer le long silence de dix-huit années entre le premier recueil Álbum de familia (Lima, 1971) et El huso de la palabra (Lima, 1989), titre original du Fil de la parole ? La grave maladie qui le frappe en 1986 et le conduit en Allemagne est une explication convaincante. Dans son introduction, Ina Salazar évoque ce moment charnière de la proximité avec la mort : « El Huso de la palabra est ce moment, critique et premier à la fois, où se nouent survie et poésie, où l’usage de la parole intègre nécessairement l’idée de combat, combat pour la vie et combat avec les mots. » Ces combats n’ont rien de morbides. Acceptation sereine des limites du langage, humour, sagesse et ironie face à la mort. Dans le poème « La membre du jury », il écrit : « La mort véritable est comme la poésie : regarde-la s’approcher comme une forme de la tempérance. » Avant d’entrer au bloc dans un hôpital de Hanovre, Watanabe se livre à l’exercice descriptif d’un écureuil et lorsqu’il (l’écureuil) revient, « il porte encore l’incrédulité de son réveil, et il change, et éventuellement il est une femme, l’été, tout contentement ».
La place manque pour dire les enchantements, les saveurs, et les séductions de cette poésie. Un lien fraternel tu se noue à la rencontre d’histoires simples mais qui nous sont étrangement familières et que Watanabe raconte en leur donnant la couleur d’un haïku. L’édition de ce livre, liée à l’université, ne doit pas laisser penser qu’il est réservé aux érudits. Nous sommes immergés dans une poésie à la portée de tous, profanes, mais qui nous relie dans la liesse.
Maurice NAHORY
Le fil de la parole et autres poèmes, José Watanabe, traduit par Philippe Dessommes Florez -UGA éditions, 2020- Université Grenoble Alpes, (262 p., 15 €)