Dans un contexte de crise sanitaire, sociale et politique, le gouvernement chilien se voit confronté, une nouvelle fois, à une situation grave dans la région de l’Araucanie. Depuis plus de cent jours, vingt-sept détenus mapuches dans les prisons de la région, à Angol, Lebú et Temuco, ont entamé une grève de la faim en solidarité avec le Machi, la plus importante autorité indigène, Celestino Córdova, condamné à dix-huit ans de prison pour sa participation à l’incendie de la propriété du couple Luchsinger – Mackay ayant entrainé leur mort.
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Celestino Córdova, actuellement à l’hôpital de Nueva Imperial, après cent quatre jours de grève de la faim, menace d’initier une grève sèche. Il réclame le droit de purger sa peine dans sa communauté pendant le confinement dû à la Covid 19. La Cour suprême de justice vient de rejeter sa demande. Pour leur part, les autres détenus Mapuches ont déjà entamé la grève de la faim sèche. De graves incidents ont aussi éclaté dans la région, provoqués par des groupes civils armés contre les communautés mapuches. La non-intervention de l’autorité policière dans cette situation constitue soit un indice que l’État est dépassé soit qu’il laisse agir avec complaisance ces groupes racistes. Comme on pouvait s’y attendre, cette situation a provoqué des réactions des communautés qui ont parfois occupé les municipalités.
La demande du Machi mapuche s’appuie sur l’application effective de la convention 169 de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) concernant les peuples indigènes, que l’État chilien a signée. Le ministère de la Justice a reçu le 4 juillet une lettre du Bureau régional de la Haute commission des droits humains de l’ONU proposant des mesures destinées à modifier le système pénitentiaire chilien afin d’assurer la dignité des détenus appartenant aux peuples originaires. Cette directive demande, entre autres, de prendre en compte les aspects culturels dans le processus de réinsertion sociale, ainsi que l’accès à des médecins des communautés.
La grève de la faim du Machi Celestino Córdova, autorité ancestrale mapuche, et la situation de l’Araucanie, inquiètent la communauté internationale et plusieurs personnalités ont fait part de leurs préoccupations à Michelle Bachelet, présidente du Haut-commissariat des droits de l’Homme des Nations unies ainsi qu’à la Commission interaméricaines des droits humains (CIDH). Pour Joel Hernández, rapporteur pour le Chili de la CIDH, la demande de l’autorité mapuche est « légitime » et il considère que l’État chilien a l’obligation d’assurer son intégrité physique, selon la convention 169 des Nations unies dont l’article 10 préconise une méthode alternative à la prison : l’arrestation domiciliaire, notamment en temps de pandémie.
“Je crois qu’il faudrait une volonté et une capacité de dialogue entre les autorités de l’État et les représentants mapuches. Il devrait y avoir une grande créativité de la part des autorités pour concilier et interpréter la loi pénale de l’État chilien dans une perspective plus large prenant en compte les droits des peuples indigènes. Je crois que le cadre juridique international peut favoriser cette perspective sans ignorer les normes chiliennes », déclare le rapporteur.
Les organisations internationales des droits de l’Homme s’inquiètent également de la tournure de la situation dans les régions du Bío-Bío et de l’Araucanie où les actes violents et racistes se multiplient. Entre le 11 et le 14 août une délégation du Bureau régional du Haut-commissariat des Nations unies pour les droits humains a effectué une visite technique pour s’informer des faits de violences.
Par ailleurs, le vice-président de l’Ordre des médecins, le docteur Patricio Meza, a exprimé sa préoccupation pour l’état de santé des grévistes de la faim et aussi à l’égard des actes de violence raciste contre les Mapuches qui se sont produits le week-end passé. Des parlementaires de l’opposition ont également exprimé leur rejet et insisté sur l’application immédiate de la convention 169 de l’OIT et son article 10. Dans leur déclaration, ils ont rappelé que la grève de la faim est une forme de lutte non violente et que, d’un point de vue éthique, les médecins ne devraient imposer aucun traitement, examen ou consommation d’aliments contre la volonté des grévistes.
L’État chilien doit créer les conditions pour un dialogue véritable prenant en compte les demandes qui concernent des droits culturels, politiques et sociaux. « La crise de l’Araucanie requiert volonté politique, imagination et des ressources importantes, laissant de côté l’orgueil institutionnel d’un État dont la devise est : “Pour la raison ou la force”. On ne peut non plus accepter que la mort de deux personnes soit perçue comme une revendication d’un acte patriotique mapuche », dit un chroniqueur chilien.
Au moment du bouclage de cette publication, le Machi Celestino Córdova devrait prendre la décision d’initier ou non la grève de la faim sèche. La porte-parole de Córdova, Cristina Romo, a présenté une nouvelle proposition de dialogue au gouvernement de Sebastián Piñera : elle a déclaré à la presse que l’évolution de la crise dépendra d’un geste du président chilien. De nombreuses organisations et personnalités ont été en contact avec lui, le gouvernement essaie de maintenir le dialogue, mais le Machi insiste sur sa nécessité impérieuse de se rendre quelques jours devant son “rehue”, son autel (un arbre sacré) parce qu’il a eu un rêve qu’il doit communiquer à son peuple. La cour de justice lui a accordé la possibilité d’une liberté conditionnelle de 15 heures. L’évêque de Temuco, Héctor Vargas, a discuté avec lui par vidéo-conférence. Pour l’évêque cette crise est l’une des plus graves depuis des décennies. Elle est la conséquence de ce que n’ont pas été entendues les demandes légitimes de ce peuple concernant la reconnaissance culturelle et l’urgence d’un développement intégrale de la région.
Olga BARRY