Le cauchemar de Darwin avait fait une grande impression en 2005. En Tanzanie, la perche du Nil, un prédateur vorace, introduite dans le lac Victoria à titre d’expérience scientifique, avait pratiquement décimée toutes les populations de poissons indigènes. Le cinéaste autrichien qui vit à Paris a aussi réalisé Nous venons en amis (2014) sur les occidentaux en Afrique.
Epicentro est un portrait immersif et métaphorique de Cuba, utopiste et postcolonial, où résonne encore l’explosion de l’USS Maine de 1898. Ce Big Bang a mis fin à la domination espagnole et inauguré l’ère de l’Empire américain. Au même endroit et au même moment est né un puissant outil de conquête : le cinéma de propagande. Epicentro explore un siècle d’interventionnisme et de fabrication de mythes avec le peuple extraordinaire de La Havane — en particulier ses enfants — pour interroger le temps, l’impérialisme et le cinéma lui-même.
L’approche du film est très originale. Pendant la première moitié nous sommes avec les enfants et leur famille qui explique l’histoire de l’île depuis l’indépendance de 1898. Parallèlement, intervient Juan Padrón, génial réalisateur d’animation –aujourd’hui décédé, qui explique avec beaucoup d’humour que le cinéma c’est faire croire le mensonge comme vérité. Puis interviennent des touristes, dont un danseur de tango allemand. Tout cela est rythmé par les énormes vagues sur le Malecón y compris la mort de Fidel. Ce qui montre encore l’intelligence du montage.
« Un personnage du film, après avoir dit que le tourisme met en relief le pire de l’humanité, se demande si filmer ce n’est pas comme faire du tourisme. C’est l’une des questions récurrentes que je me pose pendant la réalisation de chacun de mes films, en Afrique et maintenant dans les Caraïbes, c’est “What am I doing here ?” (Qu’est-ce que je fais-là ?). Certes, la présence d’un cinéaste étranger là-bas pourrait être interprétée comme une forme d’interventionnisme, d’exploitation ou même de tourisme. Ce paradoxe est bel et bien un des thèmes de Epicentro.Les personnages, dont moi-même, tentons de répondre à cette interrogation de la manière la plus vivante possible… »
Ensuite interviennent les rapports avec les États-Unis dont la visite de BarackObama : « Ce sont des rapports haine-amour, et qui sont réciproques, parce que l’Amérique est aussi fascinée par cette île, qu’en même temps elle déteste, parce que c’est communiste, ce sont des immigrés… En fait, pour certains Américains, Cuba, avec ses vieux gratte-ciel et ses vieilles automobiles, incarne l’image fantasmatique “Make America great again”. »
La fin du film se concentre sur les enfants. « Je les appelle les jeunes prophètes, politisés et intelligents, je suis entièrement fasciné par leur sensibilité, leur drôlerie. Avec ma caméra j’arrive à transmettre cette grande fascination au public, à communiquer cette lumière intérieure de mes personnages, mais aussi les paradoxes et les contradictions de notre monde à l’intersection des vérités, des mensonges et des illusions des uns et des autres. Jean Rouch appelait ça “le cinéma du lien”. » L’une des petites filles voudrait devenir comédienne. Elle va apprendre à jouer avec Oana Chaplin, la petite fille de Charlot qui sert de lien entre l’histoire, la comédie et le cinéma. Un film important qui a obtenu le Prix du Jury documentaire au Festival de Sundance, et à découvrir au cinéma dès le 19 août.
Alain LIATARD
Epicentro, documentaire de Hubert Sauper (France, Autriche, États-Unis), 1 h 47 min..