Duel Trump-Maduro : vers une « sortie pacifique » de la crise vénézuélienne ?

Une étonnante évolution de la situation semble se dessiner au Venezuela. Après une récente invasion manquée, et une tentative de renversement menée par l’opposant et président intérimaire Juan Guaidó, Nicolás Maduro reste ferme à la tête du pays et laisse ouverte la possibilité de dialoguer avec Donald Trump. Dans ce cadre incertain, plusieurs facteurs, dont l’historique de l’influence étasunienne sur le continent, expliquent l’enjeu de la plus grave crise qu’ait connue le pays depuis la naissance de la révolution bolivarienne.

Photo : Metro

Si Donald Trump se montre compatissant envers d’autres régimes autoritaires, comme l’Arabie saoudite ou la Russie, pourquoi s’acharne-t-il à vouloir le départ de Nicolás Maduro ? D’autres pays « amis » des États-Unis, comme le Brésil, le Canada ou la France se sont exprimés dans le même sens, mais c’est le virulent locataire de la Maison Blanche qui arbore avec brio la hache anti-chaviste. D’abord, les intérêts géopolitiques pourraient expliquer en grande partie la position du président américain. Car si les dérives de la dictatoriale et corrompue révolution chaviste ont poussée le Venezuela au bord de l’abîme, certains propos de M. Trump portent à croire que la pression sur Nicolás Maduro obéit à ce qu’on appelle de façon équivoque « l’expansionnisme continental américain ». Ce propos mérite une analyse afin de déceler la menace que représente le Venezuela, aux yeux des États-Unis, comme porte d’entrée à une coalition de forces étrangères ennemies.

Si, à sa petite échelle, l’être humain se projette et organise sa vie en fonction de quelques décennies d’existence, de même, un pays surpuissant assure sa survie conformément à un programme de développement et de conquête géopolitique à visée centenaire. Suivant cette logique, il suffit de se pencher sur l’histoire de la plus ancienne démocratie en vigueur du monde, et sa fulgurante conquête territoriale, pour avoir une vision prospective de ce qui est en train d’arriver au pays caraïbe : achat de la Louisiane aux Français (1803), acquisition de la Floride (1819), annexion du Texas (1845), la guerre avec le Mexique se terminant par l’annexion de la Californie (1846-1848), l’Alaska achetée aux Russes (1867) et, en 1898, l’annexion des îles Hawaï qui deviennent, en 1959, le 50e état des États-Unis.

À cela s’ajoutent les Samoa américaines, partie orientale de l’archipel polynésien reconnue comme telle par le Congrès étasunien en 1929. Dans la même perspective d’annexion, si le Panama et le Costa Rica sont des pays « alliés » de longue date, c’est-à-dire acquis officieusement par l’Oncle Sam, on sait que Porto Rico est déjà candidat pour devenir le 51e état des États-Unis. Et le Venezuela ? John Bolton, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de l’administration Trump, attribue à son ex-patron cette affirmation péremptoire : le pays pétrolier « fait vraiment partie des États-Unis ».

Cette conquête territoriale est cohérente avec l’idée de la Manifest Destiny : « il appartient aux États-Unis d’occuper tout le continent américain ». Aussi, en 1904, Théodore Roosevelt définit la politique du big stick : les États-Unis se chargent de maintenir l’ordre dans les républiques latino-américaines en vertu de la doctrine Monroe 1. Ce programme prend du temps, certes, mais il a suivi son chemin patiemment, méthodiquement, et par étapes. Les faits sont là, parmi lesquels l’élément déterminant de l’identité nationale : au détriment des monnaies locales, les transactions en dollar deviennent peu à peu monnaie courante au Cône Sud.

Pour réussir son pari, la politique extérieure du Captain America, en tant que chef d’orchestre du continent, vise clairement à détruire les économies régionales. La gravité de la situation qui plonge dans le chaos de nombreux pays (Mexique, Guatemala, Colombie, Équateur, Nicaragua, Pérou, Bolivie, Brésil, Chili, Argentine) en est la preuve indiscutable 2. Le Fonds monétaire international (FMI), créé en 1945 à Bretton Woods, en même temps que la Banque mondiale, est considéré par les peuples latino-américains comme l’inexorable tentacule financier de Washington. Et cela avec l’aide d’une corruption endémique et généralisée, couplée depuis un demi-siècle au narcotrafic. Par conséquent, attiser le feu de l’instabilité sociale et économique, afin d’empêcher l’émergence de concurrents potentiels, de nouveaux révolutionnaires populistes prôneurs d’une « troisième voie » fondée sur des velléités anti-impérialistes, est donc l’objectif que Washington s’est fixé depuis plus d’un siècle.

Cela concerne l’ADN étasunien. Une autre raison, plus immédiate et pressante, vient doubler la pression exercée sur le gouvernement chaviste. Elle peut être attribuée à un opportunisme électoral en vue de 2020. John Bolton assure dans ses mémoires (qui n’ont pas encore été publiées) que la seule occupation de Donald Trump est de « garantir son séjour à la Maison Blanche pendant encore quatre ans ». Selon « le livre le plus attendu de l’année », les propos tenus par Trump dès 2018, sur son désir de retirer Maduro du pouvoir, étaient destinés à plaire aux électeurs républicains de Floride, un État clé de l’élection présidentielle.

Cependant, pour certains analystes, un troisième facteur vient s’ajouter à l’intention manifeste de se débarrasser de Maduro. C’est le cas de Carlos Sánchez Berzain, directeur de l’Institut interaméricain pour la démocratie : « Toute la gamme des délits de trafic de drogue est commise depuis le Venezuela occupé avec de la cocaïne des FARC, de l’ELN, d’autres organisations criminelles en Colombie, celle d’Evo Morales de Bolivie et avec des cartels du Mexique. Les auteurs du complot de corruption « lava jato » avec des entreprises brésiliennes comme Odebrecht ont jusqu’à présent été couverts au Venezuela, à Cuba, au Nicaragua, en Bolivie, en Argentine et dans d’autres pays.»

L’avocat et politologue va plus loin : « Ils blanchissent de l’argent, paient des lobbyistes coûteux, kidnappent, assassinent, torturent, ont des prisonniers politiques, ont exilé des millions de personnes et le font avec l’apparence d’un  » gouvernement  » quand ils sont vraiment une mafia. » Et Sánchez Berzain s’alarme : « Le Venezuela usurpé est une plate-forme de pénétration et d’expansion de la Chine, de l’Iran et de la Russie à des fins antidémocratiques dans la région. »

Voilà une raison de plus qui explique l’intérêt de la Maison Blanche à maintenir son bras de fer autour du pays caribéen. Or le 26 mars dernier, le département de la Justice à Washington avait lancé un mandat d’arrêt contre Nicolás Maduro et les membres de l’exécutif vénézuélien. Avec une récompense de quinze millions de dollars pour Maduro, et dix millions par membre de son gouvernement, ils ont été accusés de « narco-terrorisme » pour leurs liens supposés avec la guérilla des Farc colombiens. C’est la raison pour laquelle le probable renversement de la situation ces derniers jours, avec l’intention d’ouvrir un dialogue, est encore plus étonnant.

Donald Trump a déclaré qu’il « penserait peut-être » à tenir une future réunion avec le président vénézuélien : « Mon gouvernement a toujours été du côté de la liberté et contre le régime oppressif de Maduro ! Je ne rencontrerai Maduro que pour discuter d’une chose : son départ pacifique du pouvoir ! », a-t-il dit sur Twitter le 22 juin. De son côté, Maduro, sans faire allusion au tweet de Trump, lors d’un entretien avec l’agence de presse officielle vénézuélienne AVN et diffusé par la télévision d’État, s’est exprimé dans ces termes : « Si nécessaire, je suis prêt à discuter respectueusement avec le président Donald Trump. » C’est donc le nouveau scénario envisagé pour la « sortie pacifique » de cette crise, alors que la côte de Juan Guaidó est en chute libre.

Eduardo UGOLINI

1. James Monroe (1758-1831), président des États-Unis de 1817 à 1825, proclama, dans un message au Congrès, ce qu’on a appelé la doctrine de Monroe : préserver le continent américain de nouvelles interventions colonisatrices européennes, surtout en Amérique latine.

2. Pour ne donner qu’un exemple : le sociologue Jesse Souza explique comment les États-Unis se sont associés au crime organisé pour détruire le Brésil avec l’élection de Jair Bolsonaro. Article publié dans la revue Nouveaux Espaces Latinos (janvier-mars 2020).