Depuis La maison aux esprits, publié en espagnol en 1982, Isabel Allende enchaîne les bestsellers. Née au Pérou, où son père était ambassadeur, elle a aujourd’hui la nationalité américaine et vit aux États-Unis mais a toujours gardé un lien direct avec son pays et le reste de l’Amérique latine. Ce nouveau roman, dont le cadre est New York, transporte les lecteurs au Chili, au Brésil, au Guatemala et au Mexique.
Photo : Caretas – Grasset
Dans une maison en plein Brooklyn qui a dû autrefois avoir beaucoup de charme mais qui est dans un état pitoyable, cohabitent Richard Bowmaster, un universitaire vieillissant au caractère d’ours et Lucía Maraz, une locataire chilienne, très solitaire elle aussi. Leur relation est aussi froide que le climat, une mémorable chute de neige qui paralyse New York et sa région.
Ils vont pourtant être obligés de se rapprocher le jour où Richard percute une luxueuse voiture conduite par Evelyn Ortega. Evelyn ne semble parler qu’espagnol et Lucía, la Chilienne, bien utile pour traduire, deviendra plus qu’un intermédiaire entre eux deux. Apparaît aussi un cadavre caché qui complique bien les choses.
Avec le talent de conteuse qu’on lui connaît depuis son premier roman, qui ne s’est jamais démenti ni affaibli, Isabel Allende fait vivre le Chili des années proches du coup d’État aussi bien que le Brésil d’un déraciné et que l’Amérique centrale de ceux qui migrent entre Guatemala et Mexique dans l’espoir du “rêve américain”. La description de la vie quotidienne des Américains moyens de New York est tout aussi réussie. Tout est juste, palpitant, sensible.
L’auteure mêle thriller, roman social, histoire et ce qu’on appelle couramment de nos jours romantisme, en respectant soigneusement les bonnes doses, ce qu’on lui reproche parfois, à tort puisqu’elle n’est pas superficielle. Elle ose aborder dans un roman populaire des sujets graves, tels que la torture sous une dictature, les gangs (les mêmes que ceux dont nous avons parlé récemment, au Salvador), le trafic d’êtres humains, le vieillissement ou la responsabilité morale d’un individu ordinaire.
Un seul exemple : la description de la vie quotidienne au Chili dans les années 1960 et 70 est remarquable, surtout venant d’une proche parente du président Salvador Allende, mort pendant le coup d’État : tout est dit, tout est clair, sans le moindre manichéisme.
Ce vingtième roman publié en France d’Isabel Allende est une nouvelle réussite de l’auteure chilienne, une symphonie avec thèmes qui se répondent et variations. Ne boudons pas un vrai plaisir, simple et multiple !
Christian ROINAT
Plus loin que l’hiver d’Isabel Allende, traduit de l’espagnol (Chili) par Jean-Claude Masson, éd. Grasset, 336 p., 20,90 € (papier), 14,99 € (numérique) . Isabel Allende en espagnol : Más allá del invierno, ed. Penguin Random House / L’ensemble de ses livres se trouvent aux éditions Plaza y Janés et dans diverses éditions de poche. Isabel Allende en français est publiée aux éditions Grasset.