Si l’heure est aux plans de déconfinement en Europe, l’épidémie se poursuit en Amérique centrale et dans les Caraïbes et les mesures des gouvernements se succèdent, parfois au détriment de la population. Premier tour d’horizon de l’évolution de la crise sanitaire dans la région.
Photo : France 24
Le Guatemala tout d’abord, reste l’un des pays les moins touchés d’Amérique centrale avec 798 cas pour 21 décès. La politique de santé se concentre sur la diffusion de messages de prévention partout dans le pays et sur la réhabilitation des moyens d’approvisionnement en eau potable des régions sinistrées par le tremblement de terre de 2017. Avec 7 523 cas pour 210 décès, c’est le Panamá qui, à l’inverse, est le pays le plus touché de la région. Le Honduras compte aujourd’hui 1 461 cas pour 99 décès et le gouvernement vient de prolonger le confinement jusqu’à mi-mai dans les régions les plus touchées. Parallèlement au coronavirus, le pays semble également voir surgir une épidémie de dengue qui a déjà fait 11 000 malades et dix-neuf morts, selon le ministère de la Santé.
Si le pic de l’épidémie semble passé à Cuba, l’île comptait soixante-neuf décès pour 1 685 cas le 5 mai, l’économie est déjà durement affectée. La population doit notamment faire face à des pénuries alimentaires et énergétiques. Pendant que les queues s’allongent devant les magasins, le confinement a entraîné une hausse de la consommation d’électricité qui fait craindre des pannes au gouvernement. Le tourisme, un des principaux moteurs de l’économie est également au point mort. Les différentes sanctions imposées à l’île empêchent également la réception d’équipements médicaux et de respirateurs artificiels, en provenance de Chine notamment. Mais cela n’empêche pas le pays de continuer les tests. Depuis mi-mars, se sont 28 000 étudiants en médecine qui font du porte-à-porte, marchant parfois des heures dans des régions difficiles d’accès, en quête de possibles nouveaux cas.
En République dominicaine, le ministre de la Santé a quant à lui demandé des mesures supplémentaires à la frontière avec Haïti qui représenterait une menace sanitaire pour le pays. Les données fournies par le gouvernement haïtien sur la propagation du virus dans le pays seraient insuffisantes. La République dominicaine compte aujourd’hui 9 095 cas pour 373 décès. Les ministres des Affaires étrangères des deux pays ont eu mardi dernier leur première conversation pour envisager une coopération de gestion de l’épidémie.
En effet, la situation sanitaire à Haïti est considérée comme particulièrement préoccupante par l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS). Dans un pays où des millions de personnes n’ont pas quotidiennement accès à de la nourriture, la pandémie pourrait dégénérer en une véritable crise humanitaire. Si le pays a pour l’instant recensé 129 cas (pour 12 morts), 17 000 résidents sont revenus dans le pays depuis la République dominicaine voisine et 55 000 personnes de plus sont attendus dans les prochaines semaines, ce qui pourrait contribuer à une forte hausse des contaminations.
L’OPS estime qu’Haïti ne possède pas assez d’équipement ni de personnel pour traiter convenablement les cas de coronavirus. De plus, la plupart des habitants vivent sans accès à l’eau potable et dans des foyers surpeuplés où la quarantaine est impossible à appliquer. Les risques de famine sont également très élevés, tout comme l’instabilité politique qui pourrait aggraver la situation. Le Réseau national des droits de l’homme à Haïti a par ailleurs signalé le manque de mesures prises par le gouvernement dans certaines régions isolées du pays. L’association alerte également sur le sort des prisons, déjà occupées à 358 % de leurs capacités; avec les conditions de vie “inhumaines et dégradantes” où l’apparition de l’épidémie pourrait être dramatique.
La semaine dernière, El Salvador comptait 633 cas pour 15 décès. Mais ce sont surtout les dérives autoritaires de Nayib Bukele, le président de la République, qui attirent l’attention. De nombreuses associations de défense des droits de l’Homme accusent le président salvadorien d’utiliser la pandémie pour intensifier la lutte contre les opposants politiques. Elles dénoncent notamment les centres de quarantaine, sans médecins, où sont envoyés arbitrairement ceux qui sont accusés de ne pas respecter la quarantaine imposée par le gouvernement.
Les mesures sanitaires incluent la suspension temporaire des transports en commun, alors 80 % des Salvadoriens se déplacent en bus quotidiennement, et des jours de sortie limités. 40 000 policiers sont déployés dans les rues pour faire appliquer ces mesures. En effet, sortir sans masque ou à la mauvaise date est suffisant pour être envoyé en camp de quarantaine, même sans symptôme. 4 000 personnes seraient actuellement enfermées dans ces centres, certaines depuis plusieurs semaines et sans jamais avoir eu les résultats des tests pratiqués à leur arrivée. Ces mesures sont considérées par l’opposition comme une privation des libertés et ont été jugées contraire à la Constitution par la Cour suprême du pays. Bukele, cependant, continue d’utiliser le droit à la vie et la santé du peuple comme prétextes pour justifier ces mesures coercitives.
Le président a également profité de la pandémie pour intensifier sa « politique de tolérance zéro » contre les gangs, les policiers et l’armée étant désormais autorisés à recourir à la force létale contre les maras. Le début de la crise sanitaire avait vu des baisses du taux d’homicides (habituellement un des plus élevé au monde), les membres des gangs appelant au respect de l’état d’exception. Si cela avait contribué à une réduction de moitié des violences entre février et mars, ça ne semble plus être le cas car 60 personnes ont été tués en 3 jours fin avril. Ces violences ont culminé le 26 avril avec un meurtre par heure dans ce pays de 6,7 millions d’habitants.
En représailles, de nombreuses images montrant les traitements infligés aux 12 000 maras emprisonnés dans le pays ont circulé, relayées par Bukele lui-même et le vice-ministre de la Justice, Osiris Luna Meza. On y voit les détenus membres des maras, en sous-vêtements, humiliés par le personnel de la prison et regroupés sans aucune précaution sanitaire. Bukele et Meza ont également déclaré que les membres de gangs rivaux allaient désormais être installés dans les mêmes cellules et les portes scellées pour empêcher les contacts et les signes entre détenus. La grande majorité de la population, fatiguée par la violence incessante, se déclare toujours favorable à 85 % à la politique de Bukele.
Lors d’une allocution télévisée, celui-ci a également accusé le Costa Rica d’avoir délibérément effectué peu de tests sur sa population pour faire baisser les statistiques. Le ministère des Affaires étrangères du Costa Rica se défend évidemment contre ces accusations. Le pays a enregistré 761 cas d’infection pour 6 décès et a conduit 14 448 tests, contre 33 628 au Salvador. Le Costa Rica se déclare prêt à participer à l’effort international de lutte contre l’épidémie. Il fait par exemple parti du programme ACT Accelerator (Access to Covid-19 Tools (act) Accelerator) initié par l’OMS. Cette coalition qui vise à accélérer les percées scientifiques dans le lutte contre le Covid compte également l’UE, l’Afrique du Sud, le Rwanda, la Malaisie et l’Arabie saoudite.
Finalement, c’est le Nicaragua qui continue à faire figure d’exception dans la région, non seulement en ne prenant aucune mesure face à l’épidémie, mais en encourageant la population à vivre comme si de rien n’était. Selon l’Unesco, le Nicaragua est le seul pays d’Amérique latine, et l’un des quatre pays au monde, à ne pas avoir ordonné la fermeture des écoles. Les championnats de foot, de basket et de boxe continuent également à avoir lieu. L’Institut national du tourisme quant à lui, maintient la programmation de 400 activités prévues au mois de mai. Parmi elles les festivités de la San Pascual dans la ville de Chinandega bien que 8 morts, possiblement dus au Coronavirus, y aient été dénombrés la semaine dernière. L’Observatoire citoyen qui tente de recenser les cas non comptabilisés par le gouvernement demande au contraire que des mesures sanitaires soient prises dans cette région et que les véritables chiffres soient rendus publics.
Le manque de dispositions prises dans le pays a également alerté l’OMS et l’OPS mais aussi Amnesty International, Humans Rights Watch et la CIDH qui estiment que le président Daniel Ortega met sa population en danger. Le gouvernement a en effet adopté une communication confuse, se contentant de donner le nombre de morts sans jamais mentionner le nombre de tests effectués, le nombre de malades dans les hôpitaux ou le niveau de propagation du virus dans le pays. Ortega s’est également déclaré opposé à la campagne “Quédate en casa” qu’il considère comme “extrême” et “radicale” au même titre que le confinement et la suspension des vols internationaux. Le Nicaragua compte officiellement seize cas de coronavirus pour cinq décès et un taux de mortalité de 31,25 %, le plus élevé du continent américain.
Élise PIA