L’ex-président Rafael Correa est condamné à huit ans de prison pour corruption

Rafael Correa a été désigné comme le principal responsable d’un réseau créé durant son mandat (2007-2017) pour recevoir des pots-de-vin de la part de plusieurs entreprises. Environ 7 millions de dollars auraient ainsi été versés en échange de marchés publics. La justice équatorienne a édicté la même sentence pour 17 personnes, dont l’ex-président Jorge Glas, déjà détenu dans le cadre du scandale Odebrecht.

Photo : DW

La Constitution de l’Équateur interdit aux « personnes condamnées pour fraude, corruption ou enrichissement illégal d’être candidates à des élections ». La prochaine élection présidentielle, en 2021, est devenue ainsi l’enjeu politico-judiciaire du combat déclaré entre Rafael Correa et son ancien partisan et actuel président Lenín Moreno, qui a été son vice-président entre 2007 et 2013. Pour Correa, considéré par le tribunal comme le chef d’une « structure criminelle », il n’y a pas de doute : c’est Lenín Moreno lui-même qui a fait pression sur les magistrats pour l’empêcher de revenir dans l’arène politique. Il lui avait cédé sa place, en 2017, en attendant son retour en 2021 mais, une fois élu, Moreno l’a trahi en convoquant les électeurs à un référendum pour enterrer une partie des réformes réalisées par son prédécesseur, dont celle sur les mandats à répétition, empêchant ainsi l’ancien président de se représenter aux élections.

Depuis la Belgique, où il s’est exilé, Rafael Correa a toujours affirmé être victime d’une persécution menée par son ancien allié. Cette condamnation, selon lui, en est la confirmation puisqu’il lui est maintenant interdit d’exercer toute activité politique pendant vingt-cinq ans (comme tous les condamnés). « C’est ce qu’ils cherchaient : obtenir en manipulant la justice ce qu’ils n’ont jamais réussi par les urnes » a déclaré l’ex-président. «Nous gagnerons sûrement au niveau international, car tout cela n’est qu’une mascarade. Je connais le processus et ce que disent les juges, c’est du mensonge, ils n’ont absolument rien prouvé », dit-il encore sur Twitter alors que ses avocats viennent d’annoncer qu’ils feraient appel. 

En réalité, le discrédit de Correa n’a fait qu’augmenter depuis la mise en lumière de l’affaire « riz vert »*. L’ex-président est également poursuivi pour la tentative d’enlèvement d’un opposant, en Colombie, en 2012 alors qu’une trentaine de plaintes ont été déposées en Équateur contre lui. Il se défend des accusations en invoquant le trop commode cliché de circonstance « persécution politique », ce qui conforte les partisans de la gauche et nourrit l’hypothèse selon laquelle derrière son procès se cache un complot orchestré par les États-Unis visant les velléités gauchistes qui ont régné sur le Cône Sud à partir des années 2000. 

Un succinct rappel historique est nécessaire pour compléter et comprendre cette information. À cette époque, l’Amérique latine semblait en effet vouloir rompre avec le schéma néolibéral imposé par le FMI et s’émanciper de l’influence historique exercée par le grand gendarme du Nord. C’est pourquoi les partisans de la théorie du complot contre Correa parlent d’un « processus général où les coups pleuvent contre la gauche sud-américaine » (source : journal L’Humanité). De même, le spectre du complot plane encore sur plusieurs ex-présidents qui ont été évincés du pouvoir parce qu’ils incarnent une force révolutionnaire capable de changer l’ordre politique dans une Amérique latine subordonnée aux desseins étasuniens, dont l’exemple le plus dramatique reste le coup d’État au Chili contre Salvador Allende, en 1973 et, plus proches de nous, les Brésiliens Dilma Roussef, en 2016, la condamnation de Lula da Silva en 2018, et le « putsch » en Bolivie contre Evo Morales l’année dernière.

Au regard de l’histoire, ceux qui plaident pour les théories conspirationnistes ne sont, peut-être, pas loin de la réalité. L’ingérence de l’Oncle Sam dans la politique du Cône Sud n’est plus à démontrer. À plusieurs reprises, Correa a traité Lenín Moreno de « mouton » des États-Unis. En mars 2019, dans un discours sur Nicolás Maduro et la crise vénézuélienne, Donald Trump avait affirmé de manière péremptoire que «les jours du communisme étaient comptés » dans plusieurs pays d’Amérique latine. 

Cependant, dans le cadre de la condamnation de Rafael Correa pour corruption, les théoriciens du complot omettent de mentionner une phrase qu’il a prononcée en mars 2019,  après avoir gouverné son pays pendant une décennie : « il est inévitable, quand on a dix ou douze ans de pouvoir, d’avoir des cas de corruption. » Cette affirmation, qui expliquerait l’existence de comptabilités dites « secrètes », invite, en filigrane, à accepter avec résignation l’impunité historique qui a façonné l’Amérique latine telle qu’on la connaît aujourd’hui et justifie les procès en cours dans plusieurs pays de la région. Rafael Correa est-il réellement victime d’un complot ? Avec le temps, nous ne pouvons qu’espérer que chacun sera en mesure d’en juger.

Eduardo UGOLINI

* Pour aller plus loin, article publié le 15 mai 2019 : L’affaire «Riz vert» a un goût amer pour l’entourage de l’ex-président équatorien Rafael Correa.