« L’actualité s’est arrêtée hier » un beau texte de Juan Carlos Méndez Guédez

Juan Carlos Méndez Guédez est né en 1967 à Barquisimeto, au Venezuela. Après un doctorat en littérature à l’université de Salamanque, il décide de s’installer à Madrid. Auteur prolifique et reconnu, il a écrit de nombreux romans et recueils de nouvelles dont certains sont publiés en France aux Éditions Zinnia. Le dernier en français Les Valises a été publié par les éditions Métailié en 2018 et il a participé à nos Belles Latinas à trois reprises. Dans cette période de confinement et de repli, nous vous proposons ce texte de l’auteur vénézuélien.

Photo : Ed. Métailié

Cette année-là en 2650 av. J-C, le jour qui précédait, à 3 h 22 dans l’après-midi, à proximité la ville de Uruk, Gilgamesh ne réussit pas à surmonter l’épreuve que Utnapishtim mit à sa disposition afin de lui révéler le secret de la vie éternelle, et il se réveilla entouré de sept hosties placées sur sa tête comme un signe qu’il s’était endormi alors qu’il se battait pour obtenir cette révélation inouïe. On informait que la population mondiale qu’elle devrait continuer à se faire à l’idée que nous sommes des êtres mortels.

Ce fut peut-être la dernière nouvelle qui arriva parmi les êtres humains, l’opportunité perdue, la rupture. À partir de là, ce que l’on a ensuite appelé histoire ou actualité n’était au fond qu’une variation plus ou moins sophistiquée du moment du Chant de Gilgamesh. 

Aujourd’hui je consulte les nouvelles, je regarde les informations d’il y a un an, de quinze ou vingt ans en arrière, et ce sont les mêmes canailleries où ne sont changées que les noms des protagonistes et des lieux mais finalement on peut à chaque fois se dire « ceci ne se passerait si nous étions immortels ». 

Face à cette irrévocabilité de la mort je veux vous rappeler une image : les sept hosties sur la tête de Gilgamesh proviennent du souvenir du rire, la présence comique, matérielle, de notre fragilité, de ces mensonges ou de ces petits ridicules qui nous envahissent de rire ou de fou rire. En riant nous sommes immortels car nous oublions la défaite de Gilgamesh et nous contemplons juste, comme une scène chaplinesque, les sept hosties qui pèsent sur sa tête. 

Ainsi se produit le bref bonheur (et ici je paraphrase et je réinterprète Milan Kundera) où un rire ténu est en même temps le rire du diable, par lequel nous passons, car le monde n’a pas de sens, et le rire des anges qui surgit tout simplement du bonheur de vivre. Et qu’en est-il du rire actuel ? Le rire actuel c’est celui qui, par l’avarice, la médiocrité, la douleur, la peur, l’obstinément épique et héroïque, finit souvent par glisser vers un petit coin où parvient l’humour, où l’on retrouve les rires qui nous rendent immortels pour quelques secondes.

Il est certain que comme dans Jacques le fataliste et son maître, de temps en temps chacun de nos pas, (ou le pas de notre cheval), finira par nous emmener près du lieu où l’on pend les gens, un moyen de nous rappeler que la fin et l’horreur sont toujours latentes, mais également une façon de nous redire que nos chemins sont faits de rire, un rire qui est plénitude, célébration, peur, joie.

L’actualité s’est arrêtée hier, aujourd’hui nous nous sommes en train de marcher avec ces sept hosties sur notre tête tandis que l’on rit silencieusement. Ce que signifie un mode de vivre (d’écrire) l’actualité avec la force de cette phrase que nous disons aux Caraïbes « Personne ne m’enlèvera ce que j’ai vécu »

Juan Carlos MÉNDEZ GUÉDEZ
Traduit de l’espagnol par Kassia AITE