Conseiller-maître à la cour des Comptes, ancien élève de Science-Po et de l’ENA, Jean-Christophe Potton a été ambassadeur de France en Uruguay puis au Paraguay de 2009 à 2017. « La piste Bernanos » est son premier roman et c’est un de nos écrivains invités pour le festival Belles Latinas d’octobre prochain.
Photo : Temporis
Le déclencheur de ce roman d’aventures est Georges Bernanos. Thierry De Massay, narrateur, très proche de sa grand-mère morte à 102 ans, petit-fils de « Mamie Micheline », hérite d’une somme de 120 000 euros et d’une lettre adressée à elle par Bernanos le 25 août 1938, depuis « l’Assomption ». Les précisions de lieu et de date importent car elles nous embarquent pour un voyage ou, mieux, une enquête dans le temps, l’espace, les livres et les archives.
L’enquête porte sur un manuscrit non-connu dont Bernanos dit dans la lettre : « C’est un texte court, le moins mauvais peut-être que j’aie jamais composé. Il t’est tout entier dédié, Mimouchette de souffrance et de combat ». Cette lettre intime, longtemps cachée, change la vie du narrateur et ajoute à l’objet initial de l’enquête une recherche sur les biographies mêlées de Bernanos et de Micheline, alors qu’elle avait 24 ans, Bernanos 48 ans, et se trouvaient, en même temps à Majorque d’où elle est repartie enceinte, fuyant les phalanges franquistes.
L’un des nombreux mérites de ce roman réside dans la (re)découverte de cet auteur de l’entre-deux-guerres. Le narrateur décrit Bernanos comme « coléreux, éruptif, catholique, monarchiste, vieille France… ». Pourtant, le lire c’est prendre le risque d’un « éblouissement total ». Son exode outre-Atlantique, avec sa femme et six enfants, le situe dans le camp des clairvoyants car il part au Paraguay, écœuré par l’abaissement de la France et des États européens face à la menace hitlérienne. Il demeurera seulement cinq jours au Paraguay, là où le manuscrit est supposé se trouver.
Thierry de Massay, écrivain de 48 ans un peu déprimé par ses activités littéraires, quitte le Vieux Monde à la recherche de l’hypothétique manuscrit. Au Paraguay donc, « cette île entourée de terre » oui, mais où chercher et comment ? De même que Tintin a besoin d’acolytes et de complices dans ses aventures, Thierry de Massay trouve les siens avant et pendant son périple. Capucine Béroud, 24 ans, catholique fervente, scoute, jeune latino-américaniste et doctorante, sera son assistante. Ils partent ensemble à la découverte aventureuse d’un pays vaste et méconnu, avec ses Indiens, Paraguayens, Jésuites, Français et le récit est semé d’embûches, mais auront-ils une aventure amoureuse ? La narration se diffracte avec « le journal de Capucine ».
Le roman est ainsi peuplé de digressions, mais sa structure est telle que le lecteur n’est jamais désorienté, contrairement aux protagonistes plongés dans des situations inconfortables et dangereuses peuplées de personnages hauts en couleurs et énigmatiques. Chemins faisant – le pluriel aussi s’impose -, on apprend beaucoup en étant immergé dans des univers éloignés les uns des autres et à travers des références historiques, littéraires et des clins d’œil. Le registre de l’humour permet d’aérer le récit au point que le lecteur se laisse transporter, est toujours maintenu en alerte, sûr, malgré tout, que tout finira bien. Et pourtant… des abîmes s’ouvrent et le tragique s’invite et promet un autre roman.
Maurice NAHORY
La Piste Bernanos – Paraguay par Jean-Christophe Potton aux éd. Temporis. 304 p., 19,50 euros.