La fille aux ciseaux a été le premier succès de Jorge Franco, dont la réédition en format de poche vient de sortir aux éditions Métailié. Le roman a donné lieu à deux adaptations, deux succès populaires, un film, Rosario (2006) de Emilio Maillé et une série de 60 épisodes pour la télévision colombienne (2010). Medellín sert de cadre à cette histoire tout juste sur la marge des narcotrafics et des narcotrafiquants qui montre l’arrière du décor.
Photo : Babelio
Au début il y avait Rosario, malheureuse gamine née dans un des pires bidonvilles de Medellín. Autour d’elle, aucune famille, sa mère l’a rejetée à plusieurs reprises, il ne lui reste que son frère, la seule personne sur laquelle elle peut compter. Puis eux, garçons de son âge, enfin peut-être, quand on le lui demande, la réponse n’est jamais la même. Antonio, le narrateur et Emilio, sont tous deux amoureux, et elle a fait son choix : Emilio est l’amant, Antonio l’ami, un ami frustré de devoir ne rester qu’un ami. Il y en a en plus un troisième dont le rôle reste peu clair pour les deux autres. Obligée de se défendre depuis son plus jeune âge, elle a appris à le faire et le fait bien. On l’appelle Rosario Ciseaux : violée quand elle avait 13 ans, elle s’est vengée de son agresseur avec une paire de ciseaux qui a définitivement empêché l’homme de récidiver.
Medellín est très belle, si on la regarde la nuit ; elle a même un métro ! Si on approche trop, on se brûle les ailes à la violence de ses deux parties, le centre qui pourrait ressembler à celui de toute capitale d’Amérique du Sud et les quartiers pauvres, celui de Rosario. Deux parties qui se rejoignent dans la saleté, la négligence. Dans ce cadre, les deux garçons se rendent confusément compte qu’ils pourraient eux aussi se brûler les ailes, à trop s’approcher de Rosario. Mais peuvent-ils s’en détacher ? Elle les tient, sans violence, elle les fascine.
Le mystère autour de la personne qu’est Rosario, que les deux amis n’arrivent pas à dissiper et qui est une grande partie de l’attrait qu’ils ressentent pour elle, le lecteur le perce peu à peu : ses profondes contradictions font partie de son être : naïve, implacable selon les moments, elle ne perd jamais, même aux pires moments (et ils ne manquent pas pour elle), une farouche volonté et même une joie de vivre malgré tout. Elle sait être tendre, jamais par calcul, elle sait aussi être terrifiante.
Venus de la classe relativement aisée, Emilio et Antonio flirtent avec le milieu de la drogue, particulièrement violent en ces années 1990, conscients du danger, ils sont incapables de résister. Impossible de résister à l’attrait de ce milieu, à celui de Rosario. À côté de cette fillette-jeune fille-femme si complexe et au fond si cohérente, les deux garçons découvrent par l’intermédiaire de cet univers la délinquance proche géographiquement mais hors de leur cadre bourgeois, rien moins que la vie, par le filtre de l’amitié et de l’amour.
Oui, mais la vie avec Rosario est insupportable et irremplaçable. On ne peut pas se passer de la fille aux ciseaux malgré l’enfer qu’elle porte en elle.
Christian ROINAIT
La fille aux ciseaux de Jorge Franco, traduit de l’espagnol (Colombie) par René Solis, éd. Métailié (Coll. Suites), 167 p., 9 €.
Jorge Franco en espagnol : El cielo a tiros, El mundo afuera, ed. Alfaguara , Santa suerte, ed. Seix Barral / Rosario Tijeras, Paraíso Travel, Melodrama, ed. Literatura Random House.
Jorge Franco en français : La fille aux ciseaux, Paraíso Travel, Melodrama, Le monde extérieur, Le ciel à bout portant, éd. Métailié.