En Amérique latine, il y a un pays qui se bat parmi les géants qui l’entourent et qui lui font bien souvent de l’ombre. Il lutte pour maintenir le cap dans le monde de la globalisation et des marchés ; contre la corruption et l’isolement international. Aujourd’hui, nous parlons du Paraguay et de ses combats pour la prochaine décennie.
« Une île entourée de terre au cœur du continent » : c’est le titre que choisit le romancier Augusto Roa Bastos pour décrire son pays. Souvent oublié par la presse internationale et le grand public, le Paraguay fort de 7 133 [1] millions d’habitants mérite tout autant notre attention que les autres pays d’Amérique latine
Le défi politique
Mario Abdo Benítez a gagné les élections présidentielles paraguayennes le 15 août 2018. Ce jeune homme d’affaire de 47 ans qui a hérité de la fortune de son père, Mario Abdo, bras droit du dictateur Alfredo Stroessner (1954-1989), est arrivé au pouvoir en promettant de sortir son pays de la pauvreté endémique dont il souffre et de lutter contre la corruption. Transparency International [2] a publié en 2018 le dernier indice de perception de la corruption (IPC). Cet indice prend en compte la corruption dans le secteur public qu’il définit comme l’abus d’une charge publique à des fins d’enrichissement personnel. Selon ce rapport, le Paraguay est le 132e pays sur 180 [3]. Il se place en deuxième position en Amérique du Sud, devancé par le Venezuela (168 sur 180). Les observateurs attendent les dernières statistiques de 2019 afin de voir si la promesse du nouveau président a été tenue.
Quoi qu’il en soit, l’année 2019 a été marquée par la corruption qui a entraîné le pays dans une crise politique profonde. En effet, le gouvernement de Mario Abdo Benítez a failli tomber lorsque ce dernier a décidé de ne pas respecter l’accord secret signé avec le Brésil quant à la distribution du surplus d’énergie généré par le barrage Itaipú partagé par les deux pays sur le fleuve Paraná, l’un des plus grands du monde. L’accord, dont les termes ont avantagé le Brésil, a provoqué la première grande crise de l’exécutif paraguayen et a déclenché des menaces de jugement parlementaire contre le président Mario Abdo Benítez, qui n’ont jamais abouti.
Le défi économique
Le Paraguay a traversé une période économique difficile, la pire de la dernière décennie. L’année 2019 a été qualifiée de compliquée par les analystes mais pas par le gouvernement, malgré les données économiques qui contredisaient ce dernier. Cependant, malgré cette année noire, une reprise économique au cours des quatre derniers mois de 2019 laisse présager une amélioration pour 2020.
Une équipe de bureaucrates du Fonds monétaire international (FMI) dirigée par Bas Bakker s’est rendue à Asunción les 6 et 12 novembre 2019 pour analyser les développements récents et les politiques économiques. À la fin de la visite, Bakker a publié le rapport suivant : « L’économie du Paraguay a été affectée par plusieurs chocs cette année. La production agricole a été frappée d’abord par une sécheresse, puis par des inondations. La production hydroélectrique a été affectée par les faibles niveaux d’eau. Les exportations ont souffert d’une faiblesse économique en Argentine et le Brésil et la forte dépréciation du peso. Et tous ces chocs se sont étendus au reste de l’économie. En conséquence, nous prévoyons désormais une croissance proche de zéro en 2019.« , « Au cours des quinze dernières années, des politiques macroéconomiques saines ont joué un rôle clé dans le maintien d’une croissance rapide et la réduction de la pauvreté » , « La réforme budgétaire récemment approuvée a été une bonne première étape, mais il faudra peut-être en faire plus. »[4]
La réforme fiscale
La réforme fiscale approuvée en 2019 a réglementé les prix de transfert[5] conformément aux normes recommandées par l’OCDE. Les personnes qui, au cours de l’année précédente, ont réalisé un chiffre d’affaires de plus de 10 millions de guaranis paraguayens ou qui ont conclu des transactions avec des pays à faible imposition doivent préparer la documentation sur les prix de transfert qui inclura au moins l’identité des personnes impliquées dans la transaction (nom, adresse, résidence). Grâce à cette nouvelle réforme fiscale, le Paraguay a reçu les félicitations des commissaires du FMI.
Qui sait si les commissaires du FMI et le gouvernement paraguayen auront également discuté des domaines fiscaux spéciaux établis par la loi n°523/95. Avec cette loi, le gouvernement paraguayen a identifié les zones de son territoire (dites « zones de libre-échange ») au sein desquelles les entreprises implantées peuvent bénéficier de certains avantages fiscaux, tels que les taxes subventionnées sur les biens vendus ou les services fournis à un taux égal à 0,5% du total des recettes d’exportation et l’exonération du paiement des droits de douane pour les biens ou services importés. Si les ventes de biens ou de services sont effectuées dans la zone de libre-échange, la fiscalité reste égale à 0,5%, à condition que la valeur de ces services « internes » ne dépasse pas 10% du chiffre d’affaires total de l’entreprise. Si ce taux est dépassé, les taxes seront de 3%.
Quel avenir attendre ?
Bien que le chômage soit de 7,3%[6] et le coefficient de Gini[7] atteigne 0,47, le travail non déclaré et les inégalités restent des défis de taille pour les dix prochaines années. Le Banco Central del Paraguay (BCP) a présenté en décembre dernier l’évaluation 2019 y les perspectives 2020, à partir desquelles on a pu connaître l’estimation de la croissance de l’économie pour 2020, évaluée à 4,1% tandis qu’elle n’était que de 0,2% cette année. Mais la croissance économique seule ne sert à rien si le pays reste isolé. Une nouvelle consolidation économique passera par un retour en force du Paraguay sur la scène politique internationale comme cela était le cas avant l’invasion de la triple alliance du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay en 1864.
L’heure est venue pour le Paraguay de se montrer optimiste, les miracles (économiques) peuvent se répéter – parfois.
Luca DI PIETRO
[1] CEPAL 2020
[2] Transparency International (TI) est une organisation non gouvernementale internationale d’origine allemande ayant pour principale vocation la lutte contre la corruption des gouvernements et institutions gouvernementales mondiales
[3] Indice de Perception de la Corruption 2018
[4] IMF Staff Concludes Visit to Paraguay 12 November 2019
[5] Les prix de transfert correspondent à une problématique fiscale internationale relative à la fixation, à l’analyse et à l’ajustement des prix pratiqués entre entités juridiques liées et implantées dans des pays différents, au regard des biens cédés, des services fournis ou des droits concédés (y compris ceux portant sur des biens incorporels). Selon les principes dégagés par l’OCDE, « si les prix de transfert sont importants aussi bien pour les contribuables que pour les administrations fiscales, c’est parce qu’ils déterminent, dans une large mesure, la répartition des revenus et des dépenses et, par conséquent, des bénéfices imposables entre les entreprises associées relevant d’autorités fiscales différentes » OCDE, Principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des multinationales et des administrations fiscales, Paris, Les Editions de l’OCDE, 2010, 371 p. (ISBN 9264090347 et 9789264090347, OCLC 748782892).
[6] CEPAL 2018
[7] Le coefficient de Gini, ou indice de Gini, est une mesure statistique permettant de rendre compte de la répartition d’une variable (salaire, revenus, patrimoine) au sein d’une population. Autrement dit, il mesure le niveau d’inégalité de la répartition d’une variable dans la population.