« Récits de migrants » un livre de la fondation Avina au Chili – Nous avons traduit celui de Helena Cordero

Nous avons assisté début janvier au lancement du livre Relatos Migrantes (Récits migrants), au Musée de la Mémoire et des Droits de l’Homme, à Santiago du Chili. Ce livre est issu des ateliers organisés par la fondation Avina et sous la direction de Pamela Ríos. Ces textes retracent les vécus des migrants arrivés au Chili depuis le Mexique, la Colombie, Haïti, Venezuela, El Salvador, l’Argentine. Nous avons traduit un de ces récits Qu’est-ce qu’un fantôme ? par la Mexicaine Helena Cordero. 

Photo : Avina Chile

Qu’est-ce qu’un fantôme ?

J’ai regardé le miroir et je me suis souvenue de mes rencontres avec eux. La première fois, j’ai été visitée par mon cousin quelques jours avant qu’il ne meure assassiné par son père. La visite la plus récente a été quand l’être avec lequel je cohabite m’a signifié qu’une discussion à ce sujet n’était pas bienvenue.  Nous les personnes migrantes, me disais-je face à mon reflet, sommes comme disparues, bien qu’avec une destination relativement connue. On pleure notre départ et il n’existe pas de tombe (parce qu’elle serait vide) où venir nous apporter des fleurs. Comme des personnes mortes, nous ne sommes déjà plus qui nous étions quand nous sommes parties du lieu qui nous a vu naître, nous ne savons pas non plus très bien qui nous sommes aujourd’hui et encore moins demain. 

Nous mangeons pour ne pas mourir, bien que nous ne sentions pas les mêmes saveurs, souvenirs de vies passées. Des rues qui se confondent comme si on marchait dans des dimensions parallèles. Des odeurs sources de synesthésie, allégorie du fait que pour vivre en société, il faut avoir un certain degré de folie. Nous sommes des voix dans les têtes qui nous entendent, nous les inquiétons, elles écoutent nos messages et nous pouvons apparaître sous leurs yeux, lors de séances spiritistes. 

Nous vivons dans les murs de nos proches et amis véritables, réveillant les larmes et les rires au milieu d’histoires qui nous semblent chaque fois moins connues, jusqu’au jour où nous en venons même à douter qu’elles aient pu avoir lieu. 

Une personne migrante est un fantôme, un être transparent pour ceux qui refusent notre existence. Nous sommes mythe et légende pour ceux qui nous craignent. Une alerte pour les ego naître qui croient que pour être de « bonnes personnes », ils méritent qu’il ne leur arrive que de bonnes choses. Nous sommes une preuve vivante pour ceux qui tourmentent les autres avec des choses aussi absurdes que le châtiment avant le péché. Nous souffrons, payant la pénitence d’être nés ailleurs. 

De mon peu d’expérience, j’ai connu deux types de fantômes : ceux qui possèdent un corps physique et ceux de nous qui migrent avec un tel corps. Mais nous avons l’avantage du détachement forcé, mélangé à de fortes doses d’omniprésence. Alors, en me voyant dans le miroir, mon reflet me rappelle les derniers mots de la phrase : …  « Un fantôme, voilà ce que je suis ». 

Helena CORDERO
Traduit de l’espagnol (Mexique)
par Lou Bouhamidi

Traduction issue de l’anthologie Relatos migrantes – Chile 2019 parue à l’occasion des 25 ans de la fondation Avina et consultable ici.