La semaine du 6 janvier 2020 a été tumultueuse au Vénézuela avec l’élection de deux présidents de l’Assemblée nationale. Le chaos institutionnel prend une ampleur inégalée et semble sans limites. La situation n’est pas facile à lire et ne prête pas à rire. Pourtant, l’un des deux présidents de la République, Nicolás Maduro, parle de « show », de spectacle monté, de clownerie quand, dans le monde réel, le pays est ruiné, frappé de pénuries, fui par des millions de ses ressortissants et livré à une dérive dictatoriale.
Photo : La Stampa
Il y avait déjà deux présidents de la République : d’une part, Nicolás Maduro, héritier du défunt Hugo Chávez (1999-2013), depuis l’élection de 2018 qui lui a permis de se maintenir au pouvoir après un premier mandat et, d’autre part, Juan Guaidó, représentant de l’opposition qui considère « frauduleuse » la présidentielle de 2018. Le 23 janvier 2019, M. Guaidó, fort de son élection à la tête de l’Assemblée, s’autoproclamait président par intérim du pays en s’appuyant, selon lui, sur la Constitution. Près de soixante États, dont la France et l’Union Européenne, ont reconnu la légitimité de Juan Guaidó. Pourtant, un an plus tard, Maduro est toujours en place et Guaidó privé de perspectives. L’atout de Maduro est la force : il a le soutien de l’armée – clef de voûte du système politique vénézuélien – et de ses alliés chinois, russe et cubain.
Le Vénézuela comptait aussi deux assemblées nationales avec la création d’une assemblée constituante, formée des seuls chavistes. Dans la pratique, depuis 2017, la constituante effectue le travail législatif et l’œuvre constituante reste, pour le moment, introuvable. L’Assemblée nationale n’a plus aucun pouvoir. Présidée par Juan Guaidó, toutes ses décisions sont frappées de nullité par la Cour suprême assujettie au pouvoir.
Dans ce panorama, même la force symbolique de Juan Guaidó resterait gênante. Le « show » évoqué par le président Maduro s’est déroulé le dimanche 6 janvier 2020 pour l’élection au perchoir de l’Assemblée nationale. La bataille s’est faite autour de deux personnages politiques : l’opposant Juan Guaidó, donc, et l’opposant de l’opposant : Luis Parra. C’était un élu d’opposition, qui s’est autoproclamé président de l’Assemblée le 6 janvier et qui a convoqué une séance dans l’hémicycle le mardi 8 janvier avec l’appui… des députés chavistes. Juan Guaidó et ses alliés ont dénoncé un « coup d’État parlementaire » et ont organisé une séance parallèle au siège du journal d’opposition El Nacional, car empêchés d’accès au Parlement par la police et l’armée. Cent députés (sur 167) lui ont apporté leur suffrage et Juan Guaidó a été réélu le 6 janvier. L’Assemblée compte désormais deux présidents. Le 8 janvier, deux sessions ont eu lieu dans cette enceinte sans pouvoir : l’une présidée par Parra et l’autre par Guaidó. Ce dernier a pu en effet forcer les barrages militaires et policiers autour du Parlement plongé dans l’obscurité suite à une coupure d’électricité.
Qui est Luis Parra ?
C’est un élu d’opposition en rupture de ban avec Juan Guaidó et qui a le soutien du président vénézuélien Nicolas Maduro. Par contre, il n’a pas l’appui de son parti Primero Justicia. Il en a été récemment exclu après qu’un site internet l’a accusé d’avoir reçu des pots-de-vin, comme nombre d’autres parlementaires de l’opposition. Il est maintenant un président d’une assemblée sans pouvoir, autoproclamé sans quorum ni vote formel. Évidemment, ses anciens collègues de Primero Justicia dénoncent des manœuvres obscures que Maduro s’est empressé de corroborer en reconnaissant immédiatement la légitimité de Parra, hors toute légalité. La corruption n’est pas la seule arme du pouvoir. Selon l’opposition, 27 députés d’opposition sont en exil et 29 autres mis en examen en dépit de leur immunité parlementaire.
Quoi de neuf ?
Ce qui semble être une farce a été dénoncé par la “communauté internationale” : elle ne reconnaît aucune légitimité à Parra et dénonce ses tentatives d’affaiblir l’opposition parlementaire avec l’aide du pouvoir. Les actes d’obstruction de la police et parfois la violence aux abords du Parlement n’ont pas été seulement exercés à l’endroit de Juan Guaidó et de ses soutiens : des diplomates européens et japonais, et des journalistes qui comptaient assister à la séance du mardi ont été également pris pour cible par des « colectivos » (milices au service de Maduro) et certains « durement frappés », a indiqué une source diplomatique sous couvert d’anonymat. Cela est inhabituel, non pas pour les journalistes, mais pour les diplomates.
Sans surprise, les alliés régionaux, Brésil et Colombie en particulier, ont renouvelé leur appui à Guaidó
Par contre, est nouvelle la position distanciée de l’Argentine et du Mexique et leur alignement sur les positions des alliés internationaux de Guaidó, ce que les États-Unis se sont empressés de souligner positivement. Le délégué américain pour le Venezuela, J. Abrams, a résumé la situation en ces termes : « l’Argentine a dit que ce qui s’est passé est inacceptable et le Mexique que le fonctionnement démocratique est fondamental » . L’isolement régional du Venezuela s’accroît.
La popularité de Maduro semble faible (10 à 12%), son isolement international grandissant et les perspectives économiques restent malheureusement catastrophiques malgré un espoir de réduction de l’inflation de 1 000 000 % à 200 000 %. Au même moment, l’opposition est fragilisée par quelques dissidences conquises par les chavistes grâce, selon les partisans de Guaidó, à des pots-de-vin millionnaires en dollars. La solution politique à cette crise d’une extrême gravité semble très éloignée.
La corruption et l’insécurité étaient deux fléaux que le Venezuela connaissait au temps de la manne pétrolière et avant les victoires électorales éclatantes de Chávez. Ils n’ont pas été résolus après plus de deux décennies de chavisme. Aujourd’hui, certains perçoivent même une aggravation de ces problématiques liées au marché de la drogue. S’y ajoute un troisième fléau : la pauvreté (87 %) et l’extrême pauvreté (61,2 %) analysées par une étude inter-universitaire (UCAB-UCV-USB, ENCOVI, 2017 et 2018). Dans l’obscurité où se trouve le Venezuela aujourd’hui, l’héritage mériterait d’être réévalué même si cet exercice est complexe.
Maurice NAHORY