Après un recompte des votes dans un calme surprenant pour la région, l’Uruguay tourne la page de quinze ans de gouvernance du « Frente amplio ». Une faible majorité a été convaincue par la coalition formée par tous les partis d’opposition et menée par le candidat du « Partido Nacional », Luis Lacalle Pou, fils de l’ex-président et ancien président du Parlement uruguayen.
Photo : El Tiempo UR
Une semaine après la clôture des votes, Lacalle Pou peut finalement monter sur scène, triomphant, pour célébrer sa victoire. La fête, initialement prévue pour ce vendredi, sera déplacée au samedi pour des raisons de météo. En plein été au bord du Rio de la Plata, il semble que tous se soient passé le mot pour retarder l’annonce de la victoire du candidat du Partido Nacional.
Dans ces temps troubles en Amérique latine, la situation paraît pour le moins cocasse. Au sortir d’un second tour fortement polarisé, l’écart entre les candidats est si mince que les votes doivent être recomptés. Cela prendra quatre jours supplémentaires, quatre jours pendant lesquels la société attend paisiblement sans soupçon de fraude, manifestations ni candidats criant à la victoire. L’Uruguay attend et démontre au monde sa stabilité institutionnelle et la maturité de son système politique.
Le Frente amplio n’a pas réussi à convaincre une quatrième fois. La cause de cet échec est l’état de l’économie uruguayenne dont les indicateurs sont au ralenti depuis quelques années. Bien qu’ils restent extrêmement positifs en comparaison avec les chiffres des pays voisins, ils n’en sont pas moins décevants pour la société uruguayenne, habituée à des chiffres nettement plus élevés depuis plus d’une décennie. Ce phénomène est du notamment aux prix élevés des commodities sur le marché international pendant le premier gouvernement Vasquez et le début du mandat de Pepe Mujica. Cela explique la victoire de Lacalle Pou dans les zones rurales, Montevideo restant un bastion « frente-ampliste ». La deuxième raison est la montée de l’insécurité en Uruguay depuis quelques années. En effet, le taux d’homicide et d’attaques à l’encontre des personnes n’est pas digne de la réputation du pays, considéré comme le bon élève de la classe latino-américaine. Un fléau bien compris par Lacalle Pou qui en a fait son cheval de bataille pendant la campagne.
Un autre changement majeur repose sur les questions d’ordre international. Le président Bolsonaro s’est en effet réjoui de la victoire de Lacalle Pou en Uruguay et a annoncé qu’il se rendra à sa cérémonie d’investiture. Le Brésil et l’Uruguay accordent leurs violons et cet alignement pourrait peser lourdement sur les futures décisions du Mercosur. D’un autre côté, Lacalle Pou a rappelé dans son discours de victoire « que, lui, dénoncerait les dictateurs quand il en voit » – référence directe à l’absence d’implication du président Vasquez dans la crise au Venezuela.
Samedi midi, Lacalle Pou monte sur scène. La veille, il a rencontré Daniel Martinez, son opposant, qui accepta sa défaite sans sourciller, malgré les 15 ans qu’a passé son parti à la tête du pays. Une faible majorité de votants a choisi l’alternative au pouvoir en place et a opté pour une large coalition anti-Frente amplio (composée de cinq partis) qui devra faire face à ses propres divisions en interne. En effet, une coalition de ce type, « catch-all », redoutablement efficace lors de la campagne présidentielle, peut vite devenir problématique pour celui qui, une fois élu, doit gérer les conflits internes. Le parti de Lacalle Pou n’a que 30 des 99 sièges du Parlement et se verra obligé de négocier avec les autres formations politiques qui l’ont amené à la victoire.
Le nouveau gouvernement a d’ores-et-déjà annoncé qu’il ne reviendrait pas en arrière sur les avancées sociales menées par le « Frente amplio ». Ces dernières années, la montée au pouvoir des partis d’opposition en Amérique latine a souvent été l’occasion de détricoter les politiques menées précédemment ou de dénoncer d’avoir hérité d’une situation incontrôlable afin de légitimer ses propres politiques. L’Uruguay, toujours à contre-courant, met fin, pour le moment, à ce type de querelle et rentre, sans fracas, dans une nouvelle ère politique.
Romain DROOG