À la suite de la profonde instabilité politique qui traverse le pays, le nouveau président péruvien en intérim Martín Vizcarra, 56 ans, ingénieur civil, a formé son gouvernement jeudi 3 octobre après la dissolution du Congrès dominé par l’opposition : « J’ai décidé de dissoudre le Congrès et de convoquer des élections législatives », a-t-il déclaré dans une allocution télévisée.
La lutte entre l’exécutif et le législatif au Pérou a créé ces dernières semaines une crise constitutionnelle grave. L’armée au Pérou a annoncé son soutien au président Martín Vizcarradans une déclaration publiée sur le compte Twitter de l’armée, en affirmant que les quatre corps des forces de sécurité nationale se tenaient à ses côtés. Les députés de l’opposition dénoncent une « incapacité morale permanente » et ont lancé un processus destiné à révoquer Vizcarra de ses fonctions. D’ores et déjà le Congrès a rejeté un vote de confiance une fois et a mis en veilleuse la proposition de Vizcarra. En raison de la limitation des mandats consécutifs, Vizcarra ne pourra pas se présenter aux prochaines élections.
« Laissons le peuple finalement décider. La fermeture que j’ai faite est dans les limites de mes pouvoirs autorisés par la Constitution. Mettre fin à cette étape de prise au piège politique afin que l’avenir du pays soit défini lors des scrutins », a déclaré Vizcarra dans un discours prononcé au Palais du gouvernement. La Constitution autorise le président à dissoudre le Congrès et à convoquer de nouveaux scrutins si l’assemblée vote par deux voix de censure contre un le gouvernement.
Les législatives et la présidentielle devaient initialement se dérouler en avril 2021. La dernière dissolution du Parlement remonte au 5 avril 1992 et avait été décidée par Alberto Fujimori (1990-2000), considérée à l’époque comme un auto coup d’État.
Les faits qui ont déclenché cette grave crise remontent à dix-huit mois, au scandale financier inédit révélé par l’enquête Lava-Jato au Brésil et puis dans de nombreux pays d’Amérique latine (lavage express). Un vaste scandale du géant du BTP brésilien Odebrecht qui, après son inculpation, a éclabousse la classe politique latino-américaine. Au Pérou, il a fait tomber les quatre derniers présidents : Ollanta Humala et son épouse, Alejandro Toledo (il a été arrêté le 16 juillet aux Etats-Unis, où il réside, en vue d’une extradition), Alan Garcia (qui s’est suicidé lorsque la police est venue à son domicile avec un mandat d’arrêt) et Pedro Pablo Kuczynski, le président en fonctions aux moments des faits, contraint à démissionner car visé par une enquête pour blanchiment d’argent présumé dans cette même affaire. Martín Vizcarra son vice-président, un inconnu de la politique, l’a succédé au pouvoir.
Depuis Martín Vizcarra a fait sien le combat contre la corruption avec son premier ministre Salvador del Solar. Ils ont demandé au Congrès une motion de confiance pour permettre à l’exécutif de changer les normes de désignation des magistrats du Tribunal constitutionnel (principal tribunal du pays) afin de mettre un terme à la connivence de cette institution avec certaines forces politiques. Pendant les quatre prochains mois, le pays devra être gouverné par des décrets d’urgence émis par l’exécutif jusqu’aux prochaines élections parlementaires et présidentielles. Ce que l’opposition dénonce comme un début de régime autoritaire et compare le gouvernement de Vizcarra au gouvernement de Fujimori.
La population, écœurée par le scandale financier impliquant les élites politiques, commence déjà à exiger des changements véritables et surtout des résultats économiques et sociaux. Le président a des énormes défis à relever dans un pays extenué ou quasiment la moitié des enfants de moins de trois ans présentent de sérieuses carences alimentaires. Aussi, il devra relancer la reconstruction des zones de la côte pacifique détruites par les pluies diluviennes et les inondations provoqués par le phénomène climatique El Niño en 2017.
Il devra faire face à une opposition représentée par l’ancien président du Congrès Pedro Olaechea, qui s’est montré très critique à son égard et qui persiste à maintenir la nomination par le Congrès des magistrats du Tribunal constitutionnel. En toile de fond, on trouve aussi Keiko Fujimori, leader de la droite populiste (fille de l’ancien président et dictateur Alberto), en prison préventive depuis 2018 pour présomption de blanchiment d’argent. Elle attend que le Tribunal constitutionnel décide si les accusations contre elle seront annulées. Pour Vizcarra aucun accord n’est possible avec l’opposition fujimoriste.
L’équipe spécial de Lava Jato au Pérou a confirmé que cette semaine devrait commencer l’interrogatoire de l’ex-chef de Odebrecht au Pérou, Jorge Barata ; il devrait révéler l’identité d’un total de soixante-et-onze personnes impliquées dans des affaires liées à Odebrecht.
Il est clair que cette crise qui secoue le Pérou ainsi que d’autres pays de l’Amérique latine n’augure rien de bon pour la démocratie dans la région : les prochains agendas électoraux dans plusieurs pays dont les élites politiques nous montrent que quelque chose de pourri existe quel que soit le bord nous en diront plus dans un avenir très proche.
Olga BARRY