De l’empire aztèque aux salons du général Franco, de Motzorongo (3900 habitants), près de Veracruz, à Toloríu (un peu moins de 200 habitants), dans la province de Lérida, ce roman nous mène sur des sentiers sinueux dans un passé plein de promesses. Dans l’église de ce même Toloríu se sont mariés le baron de Toloríu, qui faisait partie de la troupe de Hernán Cortés et une des filles de Moctezuma, Xipaguacin (rebaptisée María). Il n’en a pas fallu davantage à Jordi Soler pour imaginer une suite…
Photo : Editions Contre-allée
Une princesse aztèque nommée Xipaguacin ou María, selon le pays qu’elle habite, et son époux, petit noble catalan possesseur d’un domaine trop réduit pour être connu, une Altesse Impériale qui s’est elle-même attribué le titre, sous les traits d’un quinquagénaire tirant sur le bellâtre et un narrateur, banquier retraité qui n’a rien de mieux à faire que de fouiller inlassablement dans de vieilles paperasses : ce sont les personnages de ce roman baroque bien que contemporain.
Je ne dévoilerai rien de l’intrigue, il faut la découvrir dans ses méandres, être agacé ou amusé par les hésitations de l’ex-banquier qui le plus souvent donne l’impression de se perdre dans les mensonges qu’il a lus mais qu’il reproduit et qui en est conscient. L’intrigue, dont la seule chose que je dirai est qu’elle est superbement menée, nous conduit de la conquête du Mexique aux Montagnes pyrénéennes en passant par les salons austères du palais du Prado d’où Franco gouverna l’Espagne durant presque 40 ans.
Le narrateur de toute évidence n’est pas un professionnel, il s’embrouille, voulant bien faire, il se contredit, fait avancer son histoire de façon chaotique. Sa bonne volonté est touchante, on oublie volontiers que sa volonté première est tout de même de s’approprier le trésor de Moctezuma !
Cela donne un récit plein d’humour (l’auteur, lui, est loin d’être un amateur !), plein de deuxième degré qui rend le lecteur complice : les trous dans la chronologie, les informations données pour originales mais sur lesquelles plane un réel doute, bref la piètre fiabilité de ce qu’il sait sont un véritable régal, on met les pieds, lui et nous, sur un sol sans cesse mouvant, mais comme c’est le seul matériau dont on dispose, on est bien obligés, lui et nous, d’avancer. La description minutieuse des symboles cachés dans le M majuscule qui est devenu le blason de l’Altesse Impériale et qu’on ne verra jamais (et pour cause !) est irrésistible. Il y a quelques victimes collatérales de cet humour ambiant : Camilo José Cela, le général France et Madame, avec leurs ministres nains. Pas sûr qu’on ait envie de les plaindre !
Une farce peut prendre des allures de fable, c’est bien le cas ici. Folie des grandeurs (apparemment contagieuse), prestige qui ne vaut que pour soi-même, noblesse dont l’origine n’est due qu’à quelques pesos, bref, vanité des vanités, vanité des deux côtés de l’Atlantique… C’est drôle et tristement humain.
L’auteur partage avec son narrateur une dose non négligeable d’humour, on l’a dit, c’est le lecteur qui en profite, d’autant que le traducteur est lui-même entré dans le jeu, et on peut deviner le sourire sur les quatre visages réunis, narrateur, auteur, traducteur et lecteur. Que demander de plus ?
Christian ROINAT
Ce prince que je fus de Jordi Soler, traduit de l’espagnol (Mexique) par Jean-Marie Saint-Lu, éd. La Contre-allée, 303 p., 20 €. Jordi Soler en espagnol : Ese príncipe que fui, ed. Alfaguara. Jordi Soler en français : Les exilés de la mémoire / La dernière heure du dernier jour : La fête de l’ours / Dis-leur qu’ils ne sont que cadavres / Restos humanos, éd. Belfond et 10/18.