Nous traduisons ici un article écrit par l’écrivain chilien Walter Garib, paru la semaine dernière dans El Clarín digital du 9 septembre, à propos d’un libelle grinçant du poète chilien David Valjalo à Augusto Pinochet. Walter Garib avait été invité aux Belles Latinas en 2012 ; il est auteur de romans et journaliste par correspondance.
Photo : Espaces Latinos
En 1974, David Valjalo écrivit un libelle sanglant adressé à Augusto Pinochet. À cette époque, le poète chilien résidait aux États-Unis depuis 1960 et les meutes de la dictature se lancèrent à sa recherche, supposant qu’il vivait au Chili. Pas un recoin du pays ne fut fouillé jusqu’aux sous-sols. L’affrontement du poète au satrape représentait le préjudice le plus grave contre l’image de celui qui tyrannisait le pays, en vertu de l’oligarchie, assassinant opposants et imposant une dictature dont la férocité était assumée. Il y avait des polémiques, mais souvent les mots ont un pouvoir plus mortifère que les armes. En temps voulu, Pinochet a lu la satire acerbe de Valjalo. L’un de ses conseillers civils qui l’accompagnait a signalé des années plus tard que le dictateur grommelait, tapait du poing sur son bureau et menaçait de descendre David Valjalo. Comme le tyran détestait la poésie, l’offense blessa sa vanité. Ici j’inclus l’exemplaire original, posé au-dessus de mon bureau, par les généreuses mains de la poétesse Gloria González Malgarejo.
Au traître Pinochet
Quand tu voudras dire « petit connard »,
Et que tu voudras ajouter « gros connard »,
Et « assassin » et « pédé »,
Ou changer encore une fois, je préfère « félon ».
Si tu y penses, au chacal, « grosse merde » ;
Aux putains et bienheureux, « le coureur de jupons » ;
Hyène famélique au grand crêpe ;
Cerveau de porc.
Quand tu voudras dire « fils de pute »
Je recommande le corollaire suivant.
Deux mots résument tout,
Dis « Augusto Pinochet » et de cette façon,
Tu as dit plus que tout un dictionnaire.
Lautaro del Valle.
Par précaution, David avait signé la raillerie sous pseudonyme ; cependant, au bout d’un certain temps, on connut son identité. Quelqu’un l’avait envoyé des États-Unis au Chili, laquelle fut reproduite à l’infini de manière clandestine, à savoir en pamphlets, revues, tracts, créant légitimement la paranoïa dans les appareils de répression de la dictature. Et même, des auteurs-compositeurs la mirent en musique. De plus en plus, on voyait des inconnus au siège de la Société des Écrivains, située à un pâté de maison de la place d’Italie de Santiago, qui affirmaient être écrivains néophytes, pendant qu’ils demandaient à voir David Valjalo, car ils désiraient connaître un poète international.
À cette occasion, la romancière Teresa Hamel déclara : « Jamais nous n’avions vu tant d’écrivains analphabètes pulluler à notre siège ». La dictature n’avait pas voulu fermer la maison de la Société des Écrivains. Ainsi, elle démontrait au monde entier qu’au Chili, la liberté d’expression existait et qu’elle ne poursuivait pas les idées ni la créativité, bien qu’elle la contrôlât jour et nuit. Les taupes, étrangères à la corporation, assistaient toujours aux réunions du mardi. Et dans quel pays existe-t-il la liberté d’expression, suivant cette analyse ? Là où il n’y en a pas, on frappe ceux qui la réclament. Là où elle existe, personne n’y fait attention.
David Valjalo, les gens croyaient l’avoir vu à plusieurs endroits dans le pays, que ce soit déguisé en prêtre, chanteur ambulant ou vendeur de breloques. On en vint à penser qu’il se cachait en Auracanie, où une maîtresse mapuche l’aurait caché dans des endroits secrets, proches du lac Budi. Même les éventuelles guérillas qui disaient opérer dans le secteur contre la dictature ne disposaient pas d’une telle clandestinité.
David Valjalo, installé à cette époque dans la ville de Los Angeles, aux États-Unis, de 1960 à 1990, publiait la revue « Littérature chilienne en exil » et jouissait de l’amitié des écrivains de ce pays. La dictature civilo-militaro-patronale n’avait pas éclaté dans notre pays, qu’il avait commencé à organiser des comités de soutien, dont le travail jouissait d’une résonnance internationale.
Cette histoire est encore d’actualité, à voir comment la poésie, dans notre pays, a démontré sa vitalité croissante au fil dans ans, développant ces formes pour exprimer et chanter la beauté, la joie, la douleur et les émotions, sans lesquelles il n’est pas possible de vivre. En 1988, David Valjalo serait venu au Chili, en tant que correspondant d’un quotidien anglais, où il eut l’opportunité de s’entretenir avec Pinochet en raison du plébiscite. Au comble de son audace, il l’aurait questionné sur le célèbre libelle qui l’humiliait, et le dictateur lui aurait répondu que les présidents se voient toujours exposés à ce genre de situations ; qu’il n’en voulait pas à David Valjalo, qu’il aimerait rencontrer, pour montrer qu’il ne lui était pas antipathique et qu’il n’était pas tel qu’on le jugeait. Quand on interrogeait Valjalo sur cette histoire, il souriait et se contentait de répondre : « La fiction possède un charmesupérieur à la réalité et sans elle, la littérature serait comme les prévisions météo ».
Il est de notre devoir d’assumer les mots du poète mort à Santiago en 2005, pendant que son œuvre, parmi laquelle figurent aussi narration et essai, continue à vivre, grandit et est étudiée dans divers pays, tandis que le satrape, objet de la raillerie lapidaire, sombre dans le fumier du mépris.
Traduit par Lou BOUHAMIDI
d’après Walter GARIB pour El Clarín Digital (Chili)
David Valjalo (Iquique, 1924 – Santiago, 2005) était poète, essayiste, romancier et anthologiste. Il a vécu à l’étranger trente ans, de 1960 à 1990, et a été éditeur de la revue Littérature chilienne en exil, ensuite appelée Littérature chilienne, création et critique, publication qui atteint les 14 ans d’édition sans interruption à Los Angeles (Californie) et à Madrid (Espagne). Sa poésie a été traduite en anglais, français, allemand, roumain et portugais. Il a également été nommé Directeur du Teatro de Cámara de Californie où il présenta du théâtre classique et les Expositions de Poésie en Scène, spectacles qui méritèrent les éloges du New York Times. Il a aussi été Directeur de la Société des Écrivains du Chili et Vice-président de l’Ateneo de Santiago.