L’artiste mexicain Francisco Toledo, reconnaissable par sa barbe blanche et ses cheveux noirs bouclés, est décédé ce jeudi 5 septembre. Il avait 79 ans. Cet artiste plasticien originaire de la région d’Oaxaca était un des plus grands artistes indigènes au monde. Certains le considéraient même comme l’héritier de Rufino Tamayo. Aussi connu pour son engagement pour les causes environnementale, indigène, sociale et culturelle au niveau local ; Francisco Toledo est une fierté nationale qui laisse son pays endeuillé et sans couleurs.
Photo : Thomas Bravo
« L’art est en deuil. Le maître Francisco Toledo est décédé, grand peintre originaire de (l’Etat de) Oaxaca, gardien extraordinaire de notre culture, nos coutumes, des traditions de notre peuple et défenseur de l’environnement », a écrit jeudi soir le président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador sur Twitter.
Francisco Toledo était avant tout un artiste aux multiples facettes. Il était explorateur de l’art. Il a été peintre, il a pratiqué la gravure, le travail de la céramique, la sculpture, la moulure, le collage, la fresque, l’aquarelle… Il était aussi un maître et éditait des livres.
« Toledo a (…) rendu poreuses les frontières entre les arts visuels, la littérature, le design, l’artisanat, l’architecture, le jeu, l’enseignement, l’engagement social et l’écologie », a écrit le ministère de la Culture pour présenter l’exposition Toledo Ve qui a lieu en ce moment à Mexico.
Son art se caractérise par le foisonnement animalier, l’érotisation de la réalité et l’inspiration indigène. Il ne recherchait pas la beauté mais plutôt la représentation d’une réalité quotidienne pas toujours belle et esthétique. D’où le choix des insectes, des iguanes, des poissons, des chèvres, des singes, des lézards, des crapeaux, etc. dans ses œuvres. Amoureux de la nature, des cultures indigènes et de sa région, il exprimait cet amour par son art.
C’était aussi un art figuratif engagé. Tout d’abord engagé parce que Francisco Toledo représentait une réalité quotidienne locale. En témoigne son œuvre intitulée « Barriendo Sapos » réalisée en 1971 qui montre une scène quotidienne de son enfance à Juchitan. Son engagement en art était ensuite social et politique. Il a par exemple élaboré et fait voler quarante-trois comètes avec les visages des étudiants disparus d’Ayotzinapa en 2014 selon la coutume locale des papalotes (terme venant du nahuatl papalotl qui signifie papillon) lors du Jour des Morts. Cette coutume est une manière de communiquer avec les morts car, selon les croyances, leurs âmes descendent sur Terre pour consommer les offrandes puis remontent dans le ciel. Francisco Toledo cherchait ainsi à protester contre le manque d’informations et de recherches pour retrouver ces étudiants et tentait de les chercher dans le ciel.
C’était enfin un artiste mondialement connu, dont les œuvres ont une côte exceptionnelle. Son tableau intitulé Tortuga poniendo huevos (Tortue pondant des œufs) s’est ainsi vendu à plus d’un million de dollars lors de la vente d’automne d’art latino-américain chez Christie’s à New York en 2018. Inspirateur de plusieurs générations d’artistes, Francisco Toledo a vu ses œuvres exposées à New York, Paris, Londres ou Tokyo.
Cependant, le plasticien ne doit pas sa popularité uniquement à son travail artistique. Il est reconnu pour son engagement pour la protection de l’environnement, la préservation des cultures indigènes et du patrimoine culturel local.
Afin de conserver et d’exporter la culture d’Oaxaca, il a fondé le Musée de l’art contemporain d’Oaxaca, l’Institut des Arts Graphiques d’Oaxaca et le Centre des arts de San Agustín. « Il a fait d’Oaxaca une des capitales culturelles non seulement du pays, mais de tout le continent (…). Ça a été le grand promoteur de la culture d’Oaxaca », a expliqué Nicolas Alvarado, médiateur culturel, à la chaîne locale Foro TV.
Son engagement social à l’échelle locale n’a cessé de croître face à la violence croissante au Mexique. « Je ne suis pas devin, mais je crois que la réalité de ce pays ne change pas (…). La réalité de ce pays est de plus en plus dramatique », avait-il déclaré à l’Agence France-Presse en août 2017 à ce sujet. « Il s’était aussi engagé contre les projets des promoteurs qui menaçaient le centre historique de la ville » a déclaré le New York Times. Francisco Toledo était ainsi un acteur majeur de la vie culturelle quotidienne à Juchitan.
Ce jeudi, dès l’annonce de sa mort par le gouvernement mexicain, de nombreux messages en son hommage ont été postés. Francisco Toledo a touché tous les publics, tant les personnalités politiques et artistiques très connues que le peuple mexicain. Étant donné la discrétion habituelle de l’artiste quant à sa vie privée, la famille de Francisco Toledo a demandé à ce qu’il n’y ait aucun hommage officiel. Elle a appelé au respect de l’homme qu’il était.
Toutefois, les hommages informels se sont multipliés. Il y eut une réunion spontanée d’un groupe de personnes à l’Institut des Arts Graphiques en son hommage ainsi qu’un dépôt de fleurs au Palais des beaux-arts à Mexico. Et quoi de mieux, finalement, pour lui rendre hommage, que de se rendre à l’exposition « Toledo Ve » qui a lieu en ce moment à Mexico au Musée National des cultures populaires, et qui est justement dédiée à l’art de Francisco Toledo ?
Inès JACQUES