On avait laissé le détective Dolores Morales un peu déprimé par les dérives du régime né de la révolution sandiniste à laquelle il avait participé. On le retrouve, aussi désabusé, les choses ne se sont pas arrangées dans son pays et dans sa vie. Tout comme Raúl Argemí, notre auteur de la semaine dernière en Argentine, Sergio Ramírez au Nicaragua a milité, il a même été l’un des chefs des anti-Somoza. Déçu, il se consacre désormais à la littérature. Il a obtenu le Prix Cervantes en 2017.
Photo : rtve.es
Dolores Morales est à la tête d’une modeste (et sympathique) agence de détective privé dont un appareil photo avec zoom est le principal investissement. Doña Sofía, l’assistante de toujours est encore là bien sûr et l’ex-ami, tué jadis, est un fantôme amical et judicieux qui ne l’a pas quitté. Un jour, Miguel Soto, possesseur de plusieurs milliards de dollars, convoque Morales pour qu’il retrouve la trace de Marcela, fille de son épouse, qui a brusquement disparue en quittant une séance de cinéma au milieu du film. Il lui demande avant tout de garder la discrétion la plus absolue. Morales se lance dans l’enquête, aidé par ses compères, mais il se rend vite compte que la plupart des obstacles qu’il affronte sont causés… par Soto lui-même ou ses proches. La jeune fille ne semble pas avoir été enlevée, aucune rançon n’a été réclamée.
Au cours de ses recherches, Morales, l’ancien guérillero, est confronté à une réalité qui lui fait mal : la révolution, la lutte pour une plus grande justice sociale et surtout contre la pauvreté, est restée en panne : plusieurs des anciens camarades sont passés de l’autre côté, sont devenus des oppresseurs, d’autres faute d’avoir trahi, se retrouvent réduits à la misère et l’enquêteur lui-même ne roule pas sur l’or. Dans le présent, si on voit bien qui est dans la panade, on ne sait plus très clairement qui est du côté des dominants.
Malgré ses presque deux millions d’habitants, Managua a gardé les allures d’une ville moyenne, on se connait, on reconnait des amis ou des camarades de combat qu’on croise à un angle de rue ou au détour de l’enquête. Cela rend la ville très chaleureuse d’ailleurs, hormis un ou deux, les personnages sont affables, Sergio Ramírez entretient une ambiance ouverte, détendue qui ne réduit absolument pas le suspense. Il regarde ses personnages avec une certaine distance, jamais hautaine, toujours bienveillante, avec l’air de sous-entendre que tout cela n’est pas si grave, après ce que nous avons connu au Nicaragua, dictatures, tremblements de terre et révolution. Il est dommage que les lourdeurs et les maladresses de la traduction apportent parfois un poids inutile à cette légèreté.
Voilà un roman réussi en tout point : un décor, Managua, avec ses forts écarts sociaux, une sombre histoire de famille, une enquête dans laquelle on ne se prend pas trop au sérieux, la profonde nostalgie provoquée par l’amertume des fruits d’une révolution qui, comme tant d’autres, n’a pas donné ce qu’elle avait promis, la modestie du narrateur ‒ et de l’auteur ‒ qui est pourtant bien solide comme homme et comme écrivain, font de Retour à Managua une somme de bons moments partagés avec le lecteur.
Christian ROINAT
Retour à Managua de Sergio Ramírez, traduit de l’espagnol (Nicaragua) par Anne Proenza, éd. Métailié, 336 p., 21 €. Sergio Ramírez en français : Il pleut sur Managua, éd. Métailié / Le bal des masques, éd. Rivages.
Né au Nicaragua en 1942, Sergio Ramírez, après des études en Allemagne, abandonne sa carrière littéraire pour s’engager aux côtés de la révolution sandiniste et devient membre de l’Assemblée nationale, puis vice-président du premier gouvernement élu en 1984. Journaliste, essayiste, professeur d’université, il a publié de nombreux romans, dont Châtiment divin et Le Bal des masques.