En mai, au Mexique, la fin de la saison sèche approche, bientôt ce seront les pluies et les ouragans, l’ambiance se tend face à ces dangers que l’on pressent, que l’on sait inévitables. La découverte d’un cadavre dans des eaux boueuses provoque les commentaires des voisins, ceux qui ne sont que spectateurs et ceux qui, peut-être, sont impliqués dans le meurtre, car il s’agit bien d’un crime.
Photo : Hugo Ortuno
Quelque part dans un coin perdu du Mexique, celle que tout le monde appelle la Sorcière dans les environs, est retrouvée morte. Son cadavre a séjourné plusieurs jours dans l’eau croupie d’un canal. Elle avait mauvaise réputation à La Matosa, ce hameau où tout le monde se connaît. Qui l’a jetée dans le canal ?
Dans des chapitres très denses, Fernanda Melchor nous fait pénétrer dans la vie, presque dans la pensée, de divers habitants de La Matosa, impliqués ou non dans le mystérieux décès. Les cancans se répondent, les jugements péremptoires sur le voisin, plus souvent encore sur la voisine, se succèdent et montrent une humanité qui souffre, plongée dans la misère et qui, impuissante à faire bouger quoi que ce soit, finit par accepter cette existence de violence dans laquelle le seul moyen d’être vivant est de rabaisser les autres, fussent-ils ses propres enfants.
C’est une vie terrible que subissent tous les personnages sans exception. D’où vient le mal ? Comment en est-on arrivé là ? On ne le saura pas, on ne se pose même pas la question, tant on est, lecteur compris, immergé dans ce marécage dans lequel Fernanda Melchor nous enfonce la tête.
On a du mal à respirer dans ces dizaines de pages sans paragraphes, mais on a encore plus de mal à arrêter la lecture, happés que l’on est par les détails criants de vérité de ces vies à l’abandon, par ce besoin de vivre qu’ont hommes et femmes. Leur environnement est plus que rude, le sexe, triste la plupart du temps, est très présent, il est rarement plaisir, il est plutôt moyen de s’imposer à l’autre, les mots sont crus, rudes, répétés, à l’image de ces pauvres vies. Tout cela culmine pendant un carnaval provincial envahi par des foules de folles travesties, qui singent une mariée ou une fée couverte de paillettes que pourchassent des adolescents.
Autour de la Sorcière, les ragots ne manquent pas : elle aurait un trésor caché quelque part dans sa masure, elle serait un homme… Avant et même après sa mort misérable, elle attire les soupçons et surtout les envies. Existe-t-il, ce supposé trésor ? Tout se reconstruit par bribes, mais la reconstitution est implacable.
Par sa façon de mener le récit, par cette construction par blocs d’une dureté, d’une intensité extrêmes, Fernanda Melchor, dont le point de départ était un fait divers, ne cherche en rien à plaire, elle assène, avec un immense talent, le tableau diabolique d’une société qui meurt d’intolérance, d’abandon de soi et d’autrui, de violence aveugle, la société mexicaine… Seulement mexicaine ?
Christian ROINAT
La saison des ouragans de Fernanda Melchor, traduit de l’espagnol (Mexique) par Laura Alcoba, éd. Grasset, 288 p., 20 €.
Née en 1982 à Veracruz, au Mexique, Fernanda Melchor a très tôt été remarquée par la critique pour ces publications dans divers journaux et revues. C’est lors de la parution de La Saison des ouragans, son deuxième roman, que le monde entier a découvert cette voix unique dans la littérature hispanophone contemporaine.