La valise mexicaine, on en a beaucoup parlé en 2008, quand la nouvelle a été communiquée : on venait de retrouver 4 500 négatifs de trois photographes qui avaient suivi la guerre d’Espagne. Comment ces trésors s’étaient–ils retrouvés à Mexico, quel avait été leur parcours ? Isabelle Mayault s’empare d’une réalité pour imaginer. Son roman Une longue nuit mexicaine est une réussite absolue.
Photo : Gallimard
Longtemps, bien longtemps avant, Greta, la fantasque cousine du narrateur, Luca, qu’elle surnomme affectueusement Jamón, lui avait vaguement parlé d’une valise pleine de pellicules de photos qui avait traversé l’Atlantique, mais il ne parviendra pas à découvrir son contenu jusqu’à la mort accidentelle de Greta. De façon inattendue, presque inexplicable, à trente ans, Greta a laissé un testament et légué les négatifs à Jamón. On est dans les années 1970.
Le tableau que brosse Isabelle Mayault, dont c’est le premier roman, est fascinant. Il est presque impossible à la lecture des passages sur le passé espagnol, portugais ou mexicain des clichés de se souvenir que l’auteure est française et qu’elle n’a qu’une trentaine d’années. Ses descriptions de Mexico dans les années 1960 par exemple sont dignes des grandes heures du roman mexicain contemporain des faits, Leñero, Spota, Pitol ou Fuentes. Demeures bourgeoises, ambiances, portraits des personnages, des femmes surtout, on est à Mexico. Le tout est servi par un style impeccable, entre pur classique et inventivité de bon aloi.
Jamón, donc, reprend la saga familiale, l’histoire de sa tante Maria, épouse d’un général mexicain nommé diplomate, en poste à Paris puis à Vichy dans les années noires, tandis que Maria soigne ses poumons à Lisbonne. Ce qu’il sait, il le tient de versions discordantes passant pour la vérité absolue mais critiquées et mises en doute par des proches, sœur et fille de Maria. Pourtant, une vérité se crée sous nos yeux. Les presque trente ans qui séparent l’accident initial de l’épilogue connu défilent sous forme de tableaux situés à des époques et dans des lieux très différents, dont on ne saurait dire lequel est le plus vivant. En filigrane, discrètement, Isabelle Mayault tisse aussi le lien, fort et conflictuel, que l’Histoire a formé entre l’Europe et l’Amérique, entre l’Espagne et le Mexique, le lien dont le narrateur est la preuve vivante, modeste et éclatante.
On suit, d’abord indirectement, la fameuse valise dont on ne fait que pressentir l’existence au début et qui peu à peu prend de plus en plus de réalité. Cela donne lieu à de superbes portraits de femmes, un éloge d’un féminisme discret mais d’une force, d’une beauté bien plus évidentes qu’une vision primaire : comment peuvent se former de telles personnalités, quand on a un peu de caractère, une certaine intelligence et la volonté, encore souterraine, de devenir soi-même, dans un monde fait pour les hommes et par eux, pas encore disposé à laisser un espace au «sexe faible» ?
Ce n’est finalement pas impossible, pas très difficile, au fond, c’est ce que démontre Isabelle Mayault. Il ne sert à rien de hurler ; une voix ‒ féminine ‒ modulée est bien suffisante pour célébrer une beauté intérieure. On peut parier sans grand risque qu’on a là le roman féministe réussi de l’année. Mais pas seulement le roman féministe, un des meilleurs romans de ce début d’année. C’est intelligent, c’est agréable, c’est discrètement drôle, c’est très juste, c’est beau. Une révélation !
Christian ROINAT
Une longue nuit mexicaine d’Isabelle Mayault, éd. Gallimard, 272 p., 21 €.
À noter qu’Actes Sud a publié, en 2011 (coll. Beaux Arts), l’intégralité des films retrouvés dans «la valise mexicaine».
Journaliste
indépendante installée à Genève, Isabelle
Mayault a couvert le monde arabe pendant cinq ans (Liban, Algérie,
Turquie…) et a notamment écrit pour l’Obs, le Figaro, la Croix et Causette, en plus de fonder
le site Mashallah News, spécialisé dans
le traitement de l’actualité des zones urbaines du Moyen-Orient et d’Afrique du
Nord. Si Une longue nuit mexicaine est son
premier roman, elle a déjà publié Jours tranquilles au Caire (Riveneuve,
2015), un témoignage sur la vie quotidienne dans la capitale égyptienne après
les printemps arabe.