La figure de l’écrivain, artiste plasticien et activiste Pedro Lemebel (1925-2015) remporte la place centrale de la Berlinale lors de la première du film Lemebel de Joanna Reposi, après une première projection au festival vendredi dernier. La réalisatrice revient sur le procédé de tournage du documentaire sur l’écrivain et artiste en arts visuels chilien, présenté à la 69e édition de la Berlinale.
Photo : Gamba.cl
Joanna Reposi affirme que son combat politique est «plus actuel que jamais, car les années ont passé et on voit les droits qui ont été acquis devenir vulnérables et questionnés aujourd’hui par un courant conservateur qui se répand dans le monde». Pour la réalisatrice, son combat politique, qui consiste à «donner la parole aux marginaux, à la communauté LGBT, aux femmes, aux ethnies, aux détenus disparus», est fondamental, et pas seulement au Chili.
Pedro Lemebel a été le pionnier du mouvement queer au Chili et a particulièrement toujours «repoussé les limites, en générant des débats politiques et culturels, ce qui n’a jamais été facile : il questionnait sans cesse les figures de pouvoir, à partir de l’homosexualité, à partir de l’hétéronormativité».
Lemebel et Reposi —qui en parle comme «un ami, un confident»— se sont connus au cours de l’année 2000, alors qu’elle travaillait pour une émission culturelle télévisuelle et qu’elle cherchait à l’interviewer sur le thème de l’homosexualité. «C’était un punk, ça n’a pas été facile» se souvient la réalisatrice en évoquant sa rencontre avec lui à la radio où il travaillait. Durant cette interview, Reposi photographie Lemebel à différents moments «pendant lesquels il apporta des boas et des vêtements, se métamorphosant».
En 2002, Reposi a réalisé une installation d’après le Manifeste de Lemebel intitulé Je parle pour ma différence, «un de ses textes les plus emblématiques, son statement», où sont projetées ces diapositives dans un environnement urbain. Cette installation plastique a beaucoup plu à l’écrivain et «a généré un respect mutuel pour [leur] travail : une collaboration» ; c’est ainsi que débuta une amitié, se retrouvant chez lui, passant les heures à discuter si bien qu’un jour elle lui proposa de réaliser un film.
Cela se
passait en 2007 et Lemebel était très connu pour sa littérature au Chili, en
Amérique latine et en Espagne, mais son œuvre performative était beaucoup moins
connue : underground selon ses
mots. La réalisatrice était fascinée par le personnage de Lemebel, «un type très cohérent qui était digne de son
histoire», un personnage, une icône et un artiste manifeste.
Pendant huit ans, une collaboration difficile s’installa, des années pendant
lesquelles le scénario était sans cesse reconstruit, pendant lesquelles elle le
filmait sans relâche, elle a fait d’autres films, est devenue maman et ils allèrent
jusqu’à se disputer mais elle assure avoir toujours été présente. Jusqu’à ce
que le cancer le touche, et qu’il «devienne
beaucoup plus productif et conscient», car il sentait que le temps était
compté.
À sa mort, Reposi eut la sensation qu’il manquait de la matière à son film malgré tout ce qu’ils avaient produit durant huit ans. Elle commença alors à rechercher dans les archives, à parler avec amis et connaissances de l’artiste, à interviewer les personnes importantes de sa biographie, qui apparaissent en voix off dans le film, comme des chœurs.
Lemebel, qui est projeté dans la section Panorama, la deuxième section la plus importante du festival, regroupe photographie, diapositives, vidéos, extraits de programmes radio, témoignages ; un hommage que l’artiste n’aura pas pu voir fini. Un film qui découle de l’admiration de Reposi pour Lemebel et son art visuel, de la volonté de l’artiste de se montrer au public, et de Reposi de raconter son histoire.
«Pedro était quelqu’un de spécial. Il était rockstar, il était David Bowie et Yoko Ono. Il a beaucoup de fans, mais il y a encore beaucoup de personnes qui le remettent en question et qui ne veulent pas le voir. Il y a des personnes qui l’aiment et des personnes qui le méprisent.»
D’après Mileno
Traduit par Cécile Pilgram