Puisqu’il existe de toute évidence un rapport étroit entre la calligraphie et le caractère (sans jeu de mots) de chacun, la graphologie en est la preuve, on doit pouvoir, en faisant évoluer son écriture, faire évoluer sa propre nature en parallèle. C’est ce que pense l’Uruguayen Mario Levrero, et c’est l’exercice dans lequel il se lance, dans le but d’une «amélioration de [son] attention et de la continuité de [sa] pensée». Le résultat sera-t-il là ?
Photo : Notabila
En écrivant sur tout et sur rien, il se dévoile pourtant, il révèle, sans le vouloir vraiment, un être inquiet qui doute beaucoup, se considère comme très moyen. Il ne veut rien dire d’important, pour lui la forme des lettres est ce qui compte, pourtant c’est toute une atmosphère qu’il crée. Malgré lui il se détache de la forme ‒la forme matérielle de ses lettres‒ pour, presque inconsciemment, aborder l’essentiel, l’éternité, ses rapports très personnels avec elle comme avec sa vie, sa famille, ses non-occupations. Il se penche aussi sur le jeu de rôle ambigu entre auteur et lecteur : qui en sait plus que l’autre ?
Et justement, le lecteur est poussé à des réactions qui se complètent ou se contredisent, c’est selon. On ne peut que ressentir une certaine compassion pour cet homme fragile qui assume ses failles, mais en même temps de l’irritation devant sa passivité : ne se complaît-il pas dans cet état de victime ? Pourquoi ne fait-il aucune tentative pour briser, ou au moins relâcher, tous ces liens qui l’immobilisent ?
Tout est fait pour qu’on lise ce(ces) texte(s) au premier degré. Le Levrero narrateur est le Levrero auteur. Mais si l’envie nous prend de rajouter un second degré, le plaisir sera lui aussi doublé, le rôle joué par le chien recueilli par la famille Levrero en est la preuve.
Premier ou second degré, finalement est-il si important de poser la question ? On peut prendre ce genre de texte comme un journal intime, comme un roman entièrement imaginé, comme une analyse autobiographique ou purement psychologique, «un acte d’autoconstruction», comme il l’écrit lui-même dans un autre de ses textes, le Diario de un canalla, la canaille du titre étant ici aussi Mario Levrero. Un esprit cartésien qui souhaiterait trancher se priverait de la saine liberté que lui offre Mario Levrero. Disons tout simplement que le texte se suffit à lui-même.
Christian ROINAT
Le discours vide de Mario Levrero, traduit de l’espagnol (Uruguay) par Robert Amutio, éd. Noir sur Blanc, 192 p., 14 €. Mario Levrero en espagnol : El discurso vacío / La novela luminosa / Trilogia involuntaria / París / El lugar /El alma de Gardel / La ciudad, ed. Debolsillo Dejen todo en mis manos, ed. Caballo de Troya, Barcelona. Mario Levrero en français : J’en fais mon affaire, éd. L’arbre vengeur.