Punta Peuco est un nom qui n’évoque pas grand-chose, voire rien du tout en Europe. En revanche, au Chili, c’est un nom très connu. Il s’agit d’une prison. Une prison dans laquelle sont incarcérées les personnes condamnées pour des crimes commis lors de la dictature, sujet encore brûlant au Chili.
Photo : radioUchile
Le 31 juillet dernier, la Cour suprême du pays a de nouveau provoqué de forts remous lorsqu’elle a décidé d’accorder la liberté conditionnelle à cinq condamnés de Punta Peuco et de Colina I, une autre prison.
Le 26 juin dernier, le juge Milton Juica a pris sa retraite après cinquante ans de carrière et a donc quitté la Cour suprême. Influent membre de cette Cour et fervent défenseur des droits de l’homme, son départ a ouvert la voie à une nouvelle politique concernant les condamnés pour crimes contre l’humanité.
Ainsi la Cour suprême a fait le choix de désavouer la Cour d’appel et la Commission Ad Hoc qui se sont toutes deux prononcées contre la liberté conditionnelle pour ces sept détenus. Ces dernières s’appuyaient sur les expertises psychologiques montrant que les détenus ne montraient aucun signe de repentir et/ou ne paraissaient pas avoir conscience de la gravité de leurs actes. Le 31 juillet, la Cour suprême a décidé que ces expertises psychologiques n’étaient pas suffisantes pour refuser la libération conditionnelle.
Condamnés pour des violations de droits de l’homme, les détenus de cette prison spéciale proche de Santiago bénéficient souvent de soutiens dans la classe politique. Le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme Hernán Larraín soutient ainsi la Cour suprême, après avoir été un ardent défenseur des militaires inculpés et condamnés.
Le député Osvaldo Urrutia soutient également le jugement de la Cour suprême, affirmant même que «aucun des détenus de Punta Peuco n’a commis de crimes contre l’humanité». Toutefois, les détenus de cette prison ont été condamnés pour des crimes tels que meurtre, kidnapping, disparition forcée, actes de tortures…
Les détenus libérés aujourd’hui avaient été condamnés pour leur participation à la séquestration d’un médecin, à la mort d’un chimiste et à la séquestration d’un opposant politique.
Aujourd’hui, une partie de la société civile s’insurge contre la décision de la Cour suprême. Alicia Lira, présidente de l’Association des familles des exécutés politiques, dénonce une décision «qui crée un précédent néfaste». «C’est une infamie de la Cour suprême, une gifle à la démocratie et aux victimes, à tous ceux qui cherchent depuis si longtemps la vérité et la justice» ajoute Lorena Pizarro, présidente de l’Association des familles de détenus disparus.
La députée Carmen Hertz parle pour sa part d’une «décision préoccupante, grave, [qui] viole tous les principes et les jurisprudences des tribunaux pénaux internationaux sur les bénéfices carcéraux aux génocidaires ou criminels contre l’humanité».
La Cour interaméricaine des droits de l’homme a d’ores et déjà été saisie par le groupe Londres 38, espacio de memorias. Pour cette organisation, la décision de la Cour suprême contrevient à la déclaration de la Cour interaméricaine des droits de l’homme pour qui les condamnés doivent avoir reconnus la gravité des crimes perpétrés avant de pouvoir bénéficier d’aménagement de peine.
Matthieu LIMOUZIN