Les grandes créations n’ont pas d’âge. Pays sans chapeau a déjà été publié à quatre reprises depuis 1996, au Québec ou en France. Il ressort à nouveau sans la moindre ride, pour offrir, comme d’autres récits du Haïtien Dany Laferrière, un portrait touchant et plein de vie de la ville de son enfance, Petit-Goâve, un Haïti en réduction, et surtout de celles et ceux qui le peuplent, avec l’ombre toujours présente de ceux qui l’ont quitté à jamais, comme Da, la grand-mère.
Photo : Radio Canada/Zulma
Après vingt ans passés à Montréal à se nourrir de spaghettis, Vieux Os (le surnom du narrateur) revient chez lui, à Petit-Goâve. Il y retrouve sa mère, qui a refusé de quitter son quartier même pour quelques jours, et sa tante Renée, toutes émues de ce retour. Dans la plus grande simplicité, il conte les détails de ce qui est une renaissance.
Des scènes quotidiennes avec le charme des mots et des phrases, des dialogues savoureux mais profonds qui mêlent le rire au drame, mettent le lecteur précisément sur le même plan que Vieux Os. Nous découvrons Petit-Goâve, et Vieux Os aussi, après tant d’années passées dans le froid du Nord. Mais là-bas, la réalité n’est pas que matérielle. «Les Blancs ne peuvent croire que ce qu’ils peuvent comprendre», assène un des amis du narrateur, qui va parler très sérieusement de l’activité des zombis avec un professeur d’ethnologie de la faculté de la capitale.
Il y a ce qui a changé en vingt ans, les gens qu’il croise le lui répètent, la vie n’est plus comme avant, et il y a ce qui est inaltérable, intouché, comme ce cordonnier et sa femme, qui sont tels qu’il les avait laissés dans leur boutique où l’on ne voit jamais personne, mais qui travaillent sans jamais s’arrêter.
Ce qui ne change pas, c’est l’impossibilité de se libérer d’une mystérieuse réalité : la confusion entre la vie et la mort, surtout entre vivants et morts. Tous là-bas sont convaincus que les rues sont remplies de gens décédés qui se mêlent aux autres, qu’un tueur peut croiser à un carrefour un homme qu’il a lui-même assassiné. Qui est vivant, qui est zombi, là se trouve le danger omniprésent, plus que dans la violence urbaine pourtant bien réelle aussi… Ou bien beaucoup de ceux qu’on croise sur les trottoirs de la ville sont en réalité ailleurs, bien loin d’où l’on croit les voir.
C’est de la poésie souriante, bon enfant, que propose Dany Laferrière, bien ancrée dans un réel peu aimable mais d’une légèreté qui fait fi des duretés qui sont le quotidien des Haïtiens, une «jungle humaine», comme le dit Vieux Os : «Les pauvres sont agressifs, les riches sont agressifs. Le soleil tape trop fort. Et la vie est dure.»
On aura même droit à une visite en terre vaudou (si toutefois terre est un terme approprié !), à un dialogue avec quelques dieux, dont une déesse pleine de charmes terrestres. Monde rêvé, monde réel, pays rêvé, pays réel, l’alternance des chapitres ainsi intitulés est là pour nous transporter dans un pays sans chapeau qui est à la fois réel et rêvé, pour notre plus grand bien être de lecteur.
En librairie le 23 août.
Christian ROINAT
Pays sans chapeau de Dany Laferrière, éd. Zulma, 288 p., 9,95 €.