Dimanche 1er juillet, Andrés Manuel López Obrador, surnommé «AMLO», a remporté la présidentielle de la deuxième puissance économique d’Amérique latine, avec plus de 53% des voix. À partir du 1er décembre, il devra donc tenir ses engagements, qui ont suscité une vague d’espoir dans le pays, pouvant se résumer au triptyque : lutte contre la corruption, baisse de la violence et réduction de la pauvreté. Voici son portrait.
Photo : AMLO / ABC News
Nesho ou AMLO ? Andrés Manuel López Obrador, bien avant d’entrer dans le monde politique, était plus connu sous le nom de Nesho. «Nesho», pour ses copains et ses voisins de la petite localité de Tepetitán, dans l’État de Tabasco au sud-ouest du Mexique, où il est né le 13 novembre 1953. Si en croit la presse, ses amis ont fait la fête à l’annonce de sa victoire dans la nuit du 1er juillet. Cette enfance, rétrospectivement, peut être qualifiée comme celle d’un chef. Selon ses proches de Tepetipán, Nesho avait un tempérament de gagnant. Enfant de parents modestes et d’une mère très croyante, il voulait sa revanche sur la vie. Une vie tirée par les deux bouts. Avec ses six frères et sœurs, une vie à l’écart de tout, loin de la capitale. Une vie baignant dans les idéaux démocratiques et sociaux de la révolution mexicaine.
Le petit Nesho a bataillé dur pour réussir à l’école. Puis il est devenu boursier et est entré à l’Université nationale autonome du Mexique, la prestigieuse université publique de la cité de Mexico. Licencié en sciences politiques et en administration publique, il se lance dans une double vie, militante et professionnelle. Revenu dans son État d’origine, il en dirige l’Institut indigéniste. Selon les témoignages du peuple autochtone chontal, il fait plus que remplir des papiers dans son bureau ; il partage le quotidien et les travaux des indiens. «Il était, dit un témoin de l’époque, comme un père pour nous.»
Parallèlement, il entre au Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) où il tente d’appliquer au jour le jour les valeurs affichées. La prise de conscience d’un écart, d’un grand écart entre principes et réalité, le conduit progressivement à rompre, pour ailleurs tenter de réaliser les valeurs des révolutionnaires et de Lázaro Cárdenas. Il accompagne en 1988 l’aventure politique de Cuauhtémoc Cárdenas, leader du courant démocratique du PRI. Il le suit avec d’autres en 1989 pour fonder un nouveau parti, celui de la révolution démocratique (PRD). Il paye de sa personne physiquement pour défendre les acquis de la Révolution, abandonnés selon lui par le PRI. Il est blessé au cours d’affrontements de protestations. Sa photo, chemise ensanglantée, fait le tour du Mexique. Ses qualités d’orateur font le reste. Avec bien sûr sa volonté d’être au premier rang, celui des continuateurs du chemin tracé par Benito Juárez et les révolutionnaires. Il prend la tête du PRD, devient maire de Mexico. Un maire qui marque les esprits, qui réunit la presse et ses collaborateurs à 6h du matin, et qui refuse de voyager à l’étranger et rejette tout contact avec les responsables politiques étrangers, fussent-ils progressistes et démocrates. Priorité au mieux vivre des Mexicains.
Il restera dans les mémoires comme le maire qui a doté les anciens d’une pension municipale. Candidat aux présidentielles en 2006 puis en 2012, il se heurte à la perversion d’une culture politique tolérante envers la fraude. Il a refusé de baisser les bras. Il entreprend de visiter le pays du nord au sud et d’est en ouest pour défendre avant tout la démocratie, la souveraineté du pays et l’impérieuse obligation de construire une patrie collective appartenant à tous (riches et pauvres, religieux et non croyants…). Cette obstination, ce travail de ratissage, sa volonté de faire Mexique ont fini par bousculer les pesanteurs que l’on croyait les plus difficiles à faire bouger. Il s’était fixé une ambition : «Ensemble nous ferons l’histoire.» Sa victoire, a-t-il déclaré, est une quatrième rupture révolutionnaire, après celles de l’indépendance, de la réforme de Juárez, et celle de la Révolution.
Ce discours intégrateur, patriotique et démocratique a peu de chose à voir avec d’autres, clairement de gauche ou du moins se présentant comme tel, au Brésil ou au Venezuela. Il n’a du reste rencontré pendant sa campagne électorale que trois responsables internationaux : deux responsables de la gauche modérée latino-américaine, la Chilienne Michelle Bachelet, l’Équatorien Lenín Moreno, et le leader d’un parti ayant fait le pari d’une récupération de la souveraineté nationale, le Britannique Jeremy Corbyn. AMLO est revendiqué par beaucoup, de Madrid à Paris. Mais Nesho n’a pas fini d’en déconcerter plus d’un. Sa priorité n’est pas la révolution mondiale, mais le bien-être des Mexicains.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY