Dans un essai coup-de-poing, Valeria Luiselli retrace le parcours de migrants mineurs venus d’Amérique centrale et du Mexique pour entrer aux États-Unis. À travers cette crise migratoire, elle évoque le quotidien de ces jeunes latinos-américains, qui sont nombreux à vouloir se rendre aux États-Unis, dans des conditions misérables et qui, bien souvent, sont renvoyés très vite dans leur pays ou contraints de vivre en situation d’irrégularité.
Photo : Diego Berruecos pour les éd. de l’Olivier
En juillet 2014, les États-Unis connaissent un afflux de migrants mineurs. Ils viennent du Mexique ou, via le Mexique, d’un pays d’Amérique centrale (Honduras, Salvador, Guatemala) dont ils fuient la violence des gangs. Sans leurs parents, ils tentent de rejoindre quelqu’un de leur famille ou des amis de celle-ci. Pour répondre à la «crise migratoire» de ces jeunes demandeurs d’asile, Barack Obama instaure le traitement prioritaire de leurs dossiers. Cadeau empoisonné ! Car au lieu de disposer de plusieurs mois pour trouver un avocat, les associations qui aident ces enfants doivent le faire en vingt et un jours. C’est trop peu, si bien que les expulsions s’accélèrent.
Au même moment, l’écrivaine Valeria Luiselli, née en 1983 au Mexique et habitant New York, commence avec mari et enfants un road-trip estival à l’ouest des États-Unis. Ils attendent une carte verte : la loi exige de ne pas quitter le pays tant que la réponse et le sésame ne sont pas arrivés. En voiture, le couple raconte des histoires aux enfants, admire le paysage et entend à la radio les reportages sur les migrants mineurs.
Dans ces circonstances, qui mettent en évidence autant de décalages que de parallèles, Valeria Luiselli décide de servir d’interprète aux mineurs auprès du tribunal de l’immigration, situé dans le sud de Manhattan. Raconte-moi la fin cumule les effets de miroir : l’auteure se promène librement près de la frontière où les enfants sont arrêtés, dans l’Arizona – elle connaît très bien l’un des pays qu’ils fuient. Publiée, traduite, elle est reconnue pour son travail. Enfin, alors que ces enfants risquent l’expulsion, elle doit au contraire rester dans ce pays pour obtenir la green card.
Bref et sec, Raconte-moi la fin se lit d’une traite. Il nous emmène dans les salles d’entretien du tribunal de l’immigration où les tables sont en acajou ; il cite quelques-unes des quarante questions posées à ces enfants, notamment «Êtes-vous heureux ici ?» Valeria Luiselli raconte au lecteur et à sa fille de 5 ans les itinéraires des candidats à l’asile. Ce sont déjà des destins. L’écrivaine ne partage sûrement pas tout avec sa fille. Ceci, par exemple, elle doit le taire : «Ce qui arrive aux enfants durant leur traversée au Mexique est toujours pire que ce qui arrive n’importe où ailleurs.» Pour cause : 80 % des femmes et des filles qui s’y aventurent sont violées, si bien que «la plupart d’entre elles prennent des préservatifs à titre préventif au départ de leur périple vers le nord».
Quelques migrants n’ont que 5 ans. C’est à l’interprète qu’il revient de rendre fluide le résultat de l’interrogatoire, et l’exercice est ardu quand la récolte est la suivante : «Où as-tu passé la frontière ? – Je sais pas. – Texas ? Arizona ? – Oui ! Texas Arizona.» Il s’agit d’une petite fille de 5 ans et de sa sœur qui en a 7, élevées par leur grand-mère. Elles arrivent du Guatemala pour rejoindre leur mère qui a suffisamment économisé pour les accueillir. Un «coyote» les a guidées jusqu’à la frontière et le numéro de téléphone de leur mère est cousu dans le col de leurs robes.
Virginie BLOCH-LAINÉ
D’après Libération
Valeria Luiselli, Raconte-moi la fin, traduit de l’anglais par Nicolas Richard, L’Olivier, 128 p., 14,50 €.