Généralement ignoré par la presse européenne, le Guatemala fait en ce moment la une des journaux centre-américains pour trois raisons : la mort du dictateur Efraín Ríos Montt, le procès en Suisse de l’ancien chef de la police guatémaltèque, Erwin Sperisen, et le referendum national sur le litige frontalier avec son voisin le Belize.
Photo : PanAm Post
Le général Efraín Ríos Montt prend le pouvoir par un coup d’État le 23 mars 1982. Il sera à son tour déposé par son ministre de la Défense, le général Oscar Mejía Víctores en août 1983. Entre-temps, il laisse un pays dévasté par une répression sanglante tant contre la guérilla de l’URNG (Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque) que contre la population civile. Partant du postulat que «si la guérilla est parmi la population comme un poisson dans l’eau, et qu’il est impossible de capturer le poisson, il faut lui retirer l’eau», il fait raser 440 villages et provoque la mort de 200 000 personnes, dont 45 000 disparus peu à peu retrouvés au fil du temps dans de gigantesques charniers. Adepte de l’Église du Verbe, une secte évangélique venue de Californie, il s’acharne sur les populations Maya Quiché, Kaqchikel, Ixil ou Mam qu’il accuse de protéger la guérilla alors que celle-ci se ravitaille de force dans les villages puis se retire. Pris entre deux feux, la guérilla et les militaires, beaucoup de communautés mayas se réfugient dans les montagnes où elles sont pourchassées et anéanties par l’armée.
En 2013, les familles des victimes et les associations de défense des droits humains parviennent à ouvrir un procès contre le dictateur. Le 10 mai 2013, malgré la pression du président Otto Molina (lui-même ancien haut gradé militaire), des militaires et des partis de droite, la juge Jazmín Barrios condamne Ríos Montt à cinquante ans de prison pour génocide et trente pour crimes contre l’humanité. Les recours incessants (plus de 150) déposés par ses avocats font que la Cour constitutionnelle accepte de «suspendre» le procès. Celui-ci devait reprendre le 19 avril 2018, mais Ríos Montt meurt le 1er avril. Comme ce fut le cas avec le général Pinochet, les manœuvres dilatoires de certains politiciens, la pression des militaires et le blocage par des secteurs du pouvoir judiciaire font que le dictateur Ríos Montt (décoré par le Pentagone US en 1985) n’a pas passé un seul jour en prison…
Le procès Sperisen à Genève
En 2005, trois prisonniers évadés de la prison El infiernito (le Petit enfer) sont repris par la police et exécutés sur place. En 2006, des dizaines de policiers et de militaires armés pénètrent dans la prison El Pavón pour reprendre la main sur celle-ci contrôlée de fait par les prisonniers. À la fin du jour, une dizaine de prisonniers sont morts, comme par hasard ceux que les autorités avaient qualifiés de «chefs». En 2007, trois députés salvadoriens sont assassinés par des policiers peu après leur entrée au Guatemala. Dans les trois cas, le directeur de la Police nationale civile (PNC) est Erwin Sperisen. Craignant un procès, il se réfugie en Suisse en vertu de sa double nationalité guatémaltèque-suisse.
Mais des parents des prisonniers assassinés déposent plainte contre lui. Il est arrêté à Genève en 2012, jugé coupable de participation aux assassinats et condamné à la prison à perpétuité en juin 2014. En appel devant la Chambre de révision de Genève le 12 mai 2015, sa condamnation est confirmée. Après un nouveau recours déposé en juin 2017, le procès final s’ouvre le 16 avril 2018. Sperisen s’en prend au procureur Yves Bertossa «qui veut régenter [son] pays depuis son petit bureau et qui n’est pas garant de la vérité». Il nie tout et ses avocats demandent l’acquittement. Le procureur, lui, fait remarquer que la défense n’a jamais démenti la présence de Sperisen sur les lieux ni expliqué ce qu’il y faisait. De plus, des photos le montrent dans la prison, en uniforme, arme au poing, aux côtés du ministre de l’Intérieur Carlos Vielmann (qui se réfugiera en Espagne).
Le verdit est tombé ce vendredi 27 avril. L’organisation suisse TRIAL International communique que la Cour de justice de Genève a reconnu Erwin Sperisen coupable de complicité d’assassinat commis sur sept prisonniers à la prison de Pavón en 2006. L’ancien chef de la police se voit condamné à une peine de 15 ans de prison. L’organisation salue ce verdict qui représente une étape importante dans la lutte contre l’impunité des crimes d’État.
Le Guatemala revendique la moitié du Belize à La Haye
Le dimanche 15 avril dernier, les Guatémaltèques étaient invités par referendum à répondre «oui ou non» à une proposition de règlement du litige frontalier avec le Belize devant la Cour internationale de justice (CIJ) située à La Haye aux Pays-Bas. Depuis le 19e siècle, le Guatemala revendique 11 000 km2 de territoire belizéen en vertu d’un traité signé avec la Grande Bretagne en 1859 que celle-ci n’a pas respecté. Selon ce traité, le territoire situé entre les fleuves Sibún et Sarstún, bien que guatémaltèque, était ouvert aux colons britanniques en échange de la construction par la Grande-Bretagne d’une route reliant la capitale Ciudad de Guatemala à Punta Gorda sur la côte atlantique (aujourd’hui en territoire bélizien). Non seulement cette route ne fut jamais construite mais la Grande-Bretagne déclara cette région, y compris le territoire au sud du Mexique, comme sa colonie sous le nom de Honduras britannique. Bien que le Guatemala réclame sans arrêt le retour de la partie située entre les deux fleuves, le gouvernement britannique octroie l’indépendance à sa «colonie» en 1981 sous le nom de Belize. Ce litige plus que centenaire fait aujourd’hui l’objet de négociations entre les deux pays qui accordent, en 2000, de présenter le dossier à la CIJ de La Haye. En 2008, le Premier ministre bélizien, Dean Barrow, propose que chaque pays réalise un referendum pour demander l’avis du peuple sur cette proposition de présenter le litige à la CIJ. Le referendum du 15 avril dernier est la réponse du Guatemala : un OUI massif (92 %), mais une abstention massive également : moins d’un électeur sur sept s’est déplacé… Peu suivi au Guatemala, il a été complètement ignoré au Belize.
Même si le Belize n’organisait pas de referendum ou si le peuple votait «Non», le Guatemala pourra toujours s’adresser à La Haye. Les accords signés avec la CIJ (une entité dépendant des Nations unies) permettent aux gouvernements signataires de s’adresser à elle sans obligation de referendum national. C’est pourquoi l’opposition guatémaltèque au président Jimmy Morales suspecte une opération de communication interne pour dévier l’attention des scandales de corruption et de violences en cours en ce moment. Le 18 avril dernier, dix-sept membres du Parlement européen de Bruxelles ont envoyé une lettre au président Morales «s’inquiétant» de la violence institutionnelle contre les défenseurs des droits humains et les journalistes en rappelant «qu’en 2017, il y a eu 483 agressions et 53 assassinats». Parmi les signataires, la Française Marie-Christine Vergiat, militante associative, députée européenne depuis 2009.
Jac FORTON