Monterrey, au nord du Mexique, compte aujourd’hui plus d’un million d’habitants ; il y a quelques dizaines d’années à peine, c’était une ville provinciale, tranquille, presque endormie. Mais tout a changé : des cartels de la drogue s’y sont installés, ainsi que dans la région, et la violence a fait son apparition. Règlements de comptes entre bandes rivales, enlèvements contre rançon… sont devenus des phénomènes courants. C’est dans cette ville et dans cette atmosphère que nous entraîne Orfa Alarcón dont Ni de jour ni de nuit est le premier roman.
Photo : Informador/E. Barrera – éd. Asphalte
Fernanda est une jeune femme objet, elle l’assume, le revendique. Comment a-t-elle connu son Julio, elle ne le sait plus trop, ou ne veut pas le raconter, peu importe, elle est à lui et elle aime ça ! Quand ils sortent dans une boîte chic et branchée, elle doit d’abord passer par le salon de beauté, et c’est lui qui choisit sa courte jupe moulante, mais à peine arrivés, il l’oublie dans un coin pour passer des heures avec un groupe de machos, probablement pour parler « affaires ». Lui, il a peut-être un léger défaut : rien ne semble compter à part lui-même, et il n’est pas question de poser la moindre question ou de dire le moindre mot sur ses activités. Son attitude à elle peut se résumer en une simple phrase d’elle : « Depuis le début j’avais offert mon cou à ses dents. » Ah, l’amour !
Mais en amour, il faut être deux, et si Fernanda est une gentille paumée qui n’a qu’une envie, profiter de la vie bling-bling qui lui est offerte et de son Julio, le Julio en question n’est jamais seul. Quelques copains (?) patibulaires ne le lâchent pas ; il les appelle affectueusement les Cabrones et Fernanda finit tout de même par se demander qui ils sont et ce qu’ils font là. Sa rencontre brutale avec le maire local, qui se comporte en toutou bien dressé face à Julio et à ses hommes, commence à lui ouvrir les yeux.
Dans toute situation, il y a le pour et le contre ; Fernanda en est consciente. Pour elle, le contre, c’est cette atmosphère de violence très marquée (des corps décapités tout de même) qui l’environne ; le pour, c’est la sensation de puissance que lui confère la protection dont elle bénéficie, Julio n’ayant rien ni personne au-dessus de lui, elle se sent au sommet, elle qui poursuit des études de Lettres à la fac locale, pas toujours très assidûment, elle qui est la tante attentionnée d’une petite Cynthia qui l’adore.
Les chapitres, très courts, donnent un rythme trépidant au récit, la narratrice, qui vit parallèlement entre deux univers, la fac et la pègre (une pègre haut de gamme), est perpétuellement pressée d’aller plus loin ; un plus loin qui semble vide et dérisoire, en dehors de cette curieuse soif d’apprendre, de savoir, que ses études aident à étancher. Elle ne se rend pas clairement compte de cette frénésie et elle nous entraîne dans cette marge très originale. On a rarement vu ce genre d’héroïne qui n’a rien d’une écervelée et qui est consciente de sa situation : elle est plongée dans le marigot d’un cartel et sa lucidité lui montre bien que les plaisirs que lui procurent ses fréquentations douteuses sont bien réels, mais aussi mortellement périlleux.
Ni de jour ni de nuit restera probablement l’un des romans les plus originaux ayant pour thème les cartels mafieux, qui sont si souvent décrits dans les romans ou au cinéma. Ici les voyous, tout machos qu’ils soient, peuvent être tendres, montrer parfois des faiblesses et même avoir des éclairs, brefs, c’est vrai, de morale traditionnelle. Ces hésitations, produites par un esprit capable de déchaîner par ailleurs les pires horreurs, font la force de ce premier roman à ne pas manquer.
Christian ROINAT
Ni de jour ni de nuit de Orfa Alarcón, traduit de l’espagnol (Mexique) par Mélanie Fusaro, éd. Asphalte, 240 p., 21 €.
Orfa Alarcón en espagnol : Perra brava, ed. Libervox, Castro Urdiales.