Le juge fédéral Julián Ercolini a ordonné, le 2 mars, le renvoi de l’ex-présidente de la République Argentine devant les tribunaux dans le cadre d’une affaire d’attribution frauduleuse de marchés publics en Patagonie. Poursuivie pour plusieurs affaires, Cristina Kirchner a notamment été condamnée récemment pour trahison à la patrie dans le cadre de l’enquête sur l’attentat contre l’AMIA, et devrait être jugée pour corruption à une date encore non définie.
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Le juge Ercolini avait ordonné également le procès de deux proches collaborateurs de Cristina et de son mari, l’ex-président feu Nestor Kirchner : l’ex-ministre Julio de Vido et le chef d’entreprise Lázaro Báez. Actuellement placés en détention provisoire depuis depuis novembre 2017, ils sont accusés d’avoir touché 2,4 millions de dollars de manière frauduleuse. Selon le Centre d’information judiciaire (CJI), tous les trois sont soupçonnés d’« association illicite » et « d’irrégularités dans l’attribution de marchés publics dans la province de Santa Cruz », fief des Kirchner depuis les années 90, aujourd’hui en banqueroute et gouverné par Alicia Kirchner, la sœur de Nestor Kirchner. Selon les dernières informations, Lázaro Báez s’achemine vers un important procès de corruption contre l’ex-présidente et plusieurs de ses ex-fonctionnaires dans la cause pour blanchiment d’actifs (connue sous le nom de « la route de l’argent K »), tandis que Julio de Vido pourrait être libéré prochainement car, selon la Chambre Fédérale, les accusations étaient fondées sur « des erreurs et des plagiats ».
Si Mme Kirchner peut, dans les faits, être jugée et condamnée, elle ne pourrait toutefois purger sa peine derrière les barreaux car, élue sénatrice en octobre dernier, elle bénéficie de ce privilège, fléau qui pourrit silencieusement la vie politique : son immunité parlementaire. C’est le cas également de l’ex-président Carlos Menem, qui siège tranquillement au parlement alors même qu’il a été condamné pour vente d’armes. La députée du GEN (Génération pour une rencontre nationale), Margarita Stolbizer, avait annoncé le 14 novembre dernier qu’elle demanderait à la justice le retrait de l’immunité de l’ex-présidente : « Le grand problème est que le Sénat assume son rôle de gardien de tous les délinquants qu’il accueille, comme Carlos Menem, et il est prêt à faire de même avec madame Kirchner. »
La fin de douze ans de présidence Kirchner, en 2015, a mis en lumière d’autres affaires impliquant plusieurs anciens hauts responsables déjà mis en examen depuis l’année dernière. C’est le cas notamment de l’ex-vice-président Amado Boudou, de l’ex-ministre des Affaires étrangères Héctor Timerman (qui a été libéré le 10 janvier pour raisons de santé et se trouve actuellement sous traitement aux États-Unis), de l’ex-secrétaire aux Transports Ricardo Jaime et de l’ex-secrétaire des Œuvres publiques José López. Ce dernier est un bel exemple du grossier modus operandis par lequel la bande de voyous qui entourait les Kirchner a en partie vidé les caisses de l’État : surveillé par la justice depuis 2008, soupçonné d’enrichissement illicite, José López était armé d’une carabine et de deux pistolets lorsqu’il a été arrêté le 14 juin 2016 à l’intérieur du monastère Monjas Orantes y Penitentes de Nuestra Señora del Rosario de Fatima, à cinquante kilomètres de Buenos Aires. Il a été filmé par une caméra de surveillance en train de transporter de gros sacs jusqu’au portail du monastère, où une nonne l’a aidé à les y introduire. On a retrouvé dans ces sacs neuf millions de dollars.
Et en parlant de dollars, outre l’accusation d’entrave à l’enquête sur l’attentat contre l’AMIA en 1994 (le siège de l’Association mutuelle israélite argentine), Madame Kirchner a été inculpée pour délit économique portant sur des opérations de la Banque centrale et des irrégularités dans les ventes de dollars, du temps de son mandat présidentiel. Rappelons aussi que Cristina Kirchner et ses deux enfants sont également poursuivis dans d’autres affaires pour « blanchiment d’actifs ». Le lecteur intéressé trouvera plus de détails dans les articles précédents.
Enfin, face à l’énormité des faits en cours d’investigation sur des soupçons de corruption, et malgré l’accusation de trahison à la patrie en relation à la cause AMIA (laquelle a été modifiée en abus d’autorité et complicité aggravée, car le délit de trahison à la patrie ne pouvait s’appliquer parce qu’il requiert une situation de guerre), on ne peut pas affirmer avec certitude que Mme Kirchner va sombrer dans l’oubli nichée dans une cage dorée. Le peuple a la mémoire courte et le ventre vide. Les politiciens le savent, c’est pourquoi ils font montre d’une extraordinaire capacité de résilience ; ceux qui ont été condamnés par la justice reviennent souvent renforcés pour laver leur honneur sali par les scandales. Genre d’Homo sapiens très particulier, certains politiciens sont comme des œuvres d’art : ils ne sont jamais achevés ; d’autres, comme les mauvaises herbes, ne disparaissent jamais.
Eduardo UGOLINI