Ariel Magnus est un romancier argentin. Le jour où il découvre le journal intime, que personne n’a lu avant lui, d’un grand-père qu’il n’a pas connu, il a l’idée de ce roman qui marie la réalité d’un tournoi d’échecs qui a eu lieu à Buenos Aires en 1939, de quelques joueurs internationaux qui y ont participé, de Heinz Magnus, le grand-père du titre avec la présence de quelques personnages de fiction, comme Mirko Czentovic, qui apparaît dans Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig et celle (fiction ou réalité) de l’auteur lui-même. Un roman d’une grande originalité qui comblera les amateurs de ce que certains appellent un sport.
Photo : Ariel Magnus/Maximiliano Luna – éd. Rivages
Tout commence donc avec la découverte par Ariel Magnus d’un journal tenu par son grand-père mort avant sa naissance. Le journal a été écrit à partir de 1937. Heinz Magnus vient d’arriver à Buenos Aires où il s’est réfugié pour fuir le régime nazi.
L’ombre d’Hitler pèse sur le monde occidental entier, on l’ignore parfois, on feint de l’ignorer le plus souvent, mais on sent cette menace qui ne pèse pas que sur les juifs. Peu après l’arrivée du grand-père, en 1939, est organisé dans la capitale argentine le Tournoi d’échecs des Nations.
Le jeu d’échecs pouvait-il être pris comme une métaphore des circonstances historiques de l’époque ? C’est ce qu’affectent de faire certains, avant de revenir au jeu classique. Et c’est aussi ce que fait Ariel Magnus avec son roman : qu’est-ce qui est « vrai », « réel », qu’est-ce qui est inventé ? Qu’est-ce qui est transformé, à partir par exemple du Joueur d’échecs de Zweig ? Dans une brillante préface (intitulée « Avertissement »), il revendique sa liberté d’auteur et déclare avoir tous les droits. Il le fait de façon si éblouissante que, même épris de « réalisme », on est obligé de le suivre (ou de renoncer, mais on y perdrait beaucoup). Il jongle avec les époques, on remonte le temps pour revenir au présent (mais lequel ? Celui du journal ou celui de la narration ?). Il faut se laisser mener et, si on accepte d’être cette sorte de plume d’oiseau portée par des courants d’air plus ou moins rapides, on éprouve un délicieux vertige.
« Un fait est réel, même si les personnages qui le vivent ne le sont pas », dit à peu près Ariel Magnus, et ce paradoxe résume parfaitement sa démarche. Ainsi Mirko Czentovic, le personnage du Joueur d’échecs de Zweig, sort de son roman pour participer en chair et en os au Tournoi argentin. Inutile de vouloir chercher ce qui est vrai, inventé ou transformé, cela a perdu tout intérêt ; l’intérêt est dans ce qu’on lit, ce qui n’est, ni plus ni moins, que l’essence de toute création littéraire.
Il vaut mieux, pour profiter de cette Partie d’échecs avec mon grand-père, avoir un minimum de connaissances sur ce que l’auteur hésite à appeler un sport. Mais même sans les avoir, on pourra profiter de tous les à-côtés du Tournoi, rencontres entre tous les personnages, fictifs ou réels, et surtout le contexte de cette terrible année 39. L’histoire mondiale, elle, est hélas bien réelle, avec l’avancée inexorable vers ce que nous savons et qu’ignorent les protagonistes, imaginaires ou non, avec la progression du nazisme et la situation des juifs.
Dans ce roman hors normes, Ariel Magnus surprend, amuse, irrite parfois, il se met très consciemment dans les traces de Jorge Luis Borges qu’il cite par ailleurs régulièrement. Il montre aussi de cette façon la continuité de la littérature argentine.
Christian ROINAT
Une partie d’échecs avec mon grand-père d’Ariel Magnus, traduit de l’espagnol (Argentine) par Serge Mestre, éd. Rivages, 314 p., 22,50 €.
Ariel Magnus en espagnol : El que mueve las piezas (una novela bélica), ed. Tusquets.