Dans cette nouvelle phase qui s’ouvre vers une conception incertaine de l’avenir, le paysage de la campagne présidentielle finit de se mettre en place. Les causes de cette crise inédite, et le rôle joué par le président Maduro dans la débâcle de ce grand pays pétrolier, qui est passé à côté d’une prospérité pourtant inscrite dans ses gènes, ont été largement exposés dans les articles précédents. La situation de l’opposition, face aux prochaines élections, retient à présent toute notre attention. Cette élection présidentielle anticipée, qui s’était tenue jusqu’ici au mois de décembre et qui avait été avancé au 22 avril, a été finalement repoussée au 20 mai prochain.
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Tout d’abord, la grande question est de savoir dans quelle direction Nicolás Maduro propose de conduire le peuple vénézuélien. Car toute proposition de la part de l’ex-chauffeur de bus et candidat à sa propre réélection semble davantage semer le doute que rapprocher d’une vérité. Il a pris une décision paradoxale pour éviter que le Venezuela replonge un peu plus dans l’incertitude politique : des élections forcées, sur fond de réconciliation avec une partie de l’opposition à la dérive, au détriment de la démocratie et de la liberté.
Avec un taux d’impopularité de 75 % et condamné par la communauté internationale, Maduro, qui excelle dans l’art chaviste de lever la voix et le poing sur une estrade, riposte et confirme sa ligne avec un langage qui rappelle la brutalité des grands dictateurs du XXe siècle : « Nous allons vers les élections, même s’il pleut, s’il y a du tonnerre et des éclairs, avec ou sans opposition. »
Cette élection présidentielle anticipée, prévue au mois de décembre et qui avait été avancée au 22 avril, a été finalement repoussée au 20 mai prochain. Un accord in extremis a été trouvé entre le gouvernement et deux candidats fantômes de l’opposition : Javier Bertucci, un pasteur évangéliste peu connu des électeurs, et Henri Falcón, ex-allié d’Hugo Chávez et gouverneur de l’État de Lara (2008-2017). Or, beaucoup se demandent si ce chaviste dissident est un véritable adversaire ou un allié crypté de l’actuel président. En effet, on ne peut pas dire, après l’accord entre Falcón et Maduro, que ce dernier a fait preuve d’une incroyable capacité à tendre la main à l’adversaire. Dans ce sens, le journal Tal Cual apporte un témoignage qui ne laisse pas de doute : « Ne nous voilons pas la face, pour rendre crédible cette élection présidentielle, le régime avait besoin d’un candidat capable de représenter un contrepoids au président sortant, Nicolás Maduro. Mais quand les lumières des projecteurs se sont éteintes […] et que les caméras avaient disparu, le chef de l’État et son soi-disant adversaire se sont serré la main, très émus, se sont mutuellement félicités par le spectacle grandiose qu’ils venaient de produire pour démontrer l’esprit démocratique de cette dictature. »
Et le journal El Nacional constate avec des mots très durs à entendre pour les Vénézuéliens, fiers il y a deux décennies de la révolution bolivarienne prônée par Hugo Chávez : « la MUD a permis que se développe en son sein une sorte de “chavisme light”, en la personne de Henri Falcón, qui s’est porté candidat à la présidentielle et servira désormais de punching-ball au boucher Maduro. » C’est là un élément essentiel de la situation actuelle : profondément divisée quant à la conduite à tenir face à l’omnipuissance de l’héritier du chavisme, la Mesa de la Unidad démocratica (MUD), Table de l’unité démocratique composée d’une vingtaine de partis de l’opposition, n’a pas réussi à définir une solide stratégie capable d’enrayer cette spirale qui entraîne dans son mouvement institutions, partis, cohésion sociale, tolérance, vies humaines et, enfin, la légitimité même de l’État.
Ángel Oropeza, le coordinateur de la MUD, avait déclaré que la coalition d’adversaires au gouvernement ne participera pas aux élections, car ce « n’est qu’un simulacre frauduleux et illégitime d’élection présidentielle […], un show du gouvernement pour simuler une légitimité dont il ne dispose pas. » Mais une deuxième lecture de cette non-participation révèle un fait encore plus grave : le manque de consensus au sein même de l’Union démocratique. Voici l’analyse de Félix Seijas, directeur de l’institut de sondage Delphos : « Maduro se trouve sans doute au moment où il est le plus faible, mais il puise sa force dans l’affaiblissement, les erreurs et le manque de cohésion et de cohérence de l’opposition. C’est ce qui lui donne de l’oxygène. » Et sur l’avenir de la MUD, Seijas reste sceptique : « Si la MUD n’a pas de plan, si dans les deux prochains mois elle échoue à mobiliser la société civile, je pense qu’elle va disparaître. »
En bref : l’opposition, dans son ensemble, ne sert aucunement de contrepoids aux incertitudes qui pèsent sur la reconstruction du pays. Et Maduro s’est chargé de bannir toute personnalité qui pourrait prendre trop d’importance à son projet de réélection. C’est le cas d’Henrique Capriles, 45 ans, candidat de l’opposition contre Hugo Chávez en 2012 et qui avait avait perdu de très peu face à Maduro en avril 2013 : l’ancien gouverneur de l’État de Miranda (2008-2017) fut condamné l’an passé à 15 ans d’inéligibilité, accusé de gestion frauduleuse. Un autre leader proscrit est le très populaire Leopoldo López, 46 ans, fondateur du parti Voluntad Popular, ayant pris la tête des manifestations contre Nicolás Maduro en 2014 : contestation qui l’a conduit en prison, dont il a été libéré l’an passé après trois années d’incarcération, mail il reste en résidence surveillée. De son côté, Antonio Ledezma, 62 ans, ancien maire de Caracas balayé par Hugo Chávez à la fin des années 1990, a été arrêté en 2015 et placé en résidence surveillée avant de prendre la fuite l’an passé vers l’Espagne. C’est ainsi que Maduro et son escouade de thuriféraires ont su bricoler, à force de bidouiller et de tripatouiller dans l’appareil judiciaire et législatif, une élection présidentielle scélérate qui pourrait le catapulter jusqu’en 2025.
Disons-le derechef : pour Maduro, il n’y a que lui et, vu la manière dont il considère l’opposition, on voit mal ce qui pourrait, à ses yeux, freiner sa marche triomphale vers un nouveau mandat. Profitant donc du fait que face à lui personne ne réussit à faire consensus, le clan Maduro pense pouvoir établir la domination d’un pouvoir unique : le leur. Même au sein de son gouvernement, la moindre critique le hérisse. Toute contestation le fait sortir de ses gonds. Par exemple, divulguer les chiffres de la crise sanitaire, comme l’a fait Antonieta Caporale, relève du crime de lèse-majesté : la ministre de la Santé a été démise de ses fonctions, en mai 2017, pour avoir révélée que le taux de mortalité infantile avait augmenté de 30 %, et le taux de mortalité maternelle de 65 %, entre 2015 et 2016. Le même bulletin épidémiologique avait confirmé ainsi la grave situation de la santé vénézuélienne avec une augmentation de 76,4 % dans les cas de paludisme, maladie qui avait été éradiquée du pays et qui, selon un rapport établi par des associations médicales, a rebondi pendant ces trois dernières années.
Cela dans un climat d’extrême violence, où la répression politique et sociale contre les émeutes populaires s’est achevée dans un bain de sang avec un bilan de 120 morts entre avril et juillet dernier. Selon les chiffres officiels, en 2017, le Venezuela est devenu le pays le plus dangereux du monde, après le Salvador, avec plus de 26 600 morts. C’est la raison pour laquelle tout le monde se demande si le Venezuela a touché le fond, et si tel est le cas : a-t-il une chance de s’en sortir sans l’intervention de forces étrangères ?
En attendant une réponse concrète à ces questions essentielles, Nicolás Maduro continue à surfer sur la vague d’incertitude générée par une opposition qui ne sert aucunement de contrepoids et qui fait naître nombre d’interrogations dans une communauté internationale paralysée, et surtout parmi les millions de Vénézuéliens exaspérés par l’incertitude du lendemain. Par conséquent, malgré ce « simulacre d’élection », rien ne permet d’augurer une pacification du pays.
Eduardo UGOLINI