Mgr Charles Scicluna, envoyé spécial du pape François et personnalité en charge de l’enquête sur Mgr Juan Barros, est rentré du Chili le premier mars. Dans cette affaire, Mgr Juan Barros, évêque d’Osorno, est accusé d’avoir couvert les abus perpétrés par le prêtre chilien Fernando Karadima.
Photo : Mgr Scicluna/La Tercera
Suite à son dernier voyage au Chili, le pape François a pris la décision d’envoyer Mgr Charles Scicluna comme envoyé spécial dans la délicate affaire de pédophilie impliquant l’Église. Mgr Juan Barros , évêque d’Osorno, aurait en effet joué un rôle majeur dans les différents événements qui ont eu lieu lors de la visite du pape au Chili, et sa présence avait alors été lourdement contestée. Le prêtre chilien Fernando Karadima a été condamné à vie par le Vatican en 2011 pour avoir abusé sexuellement et psychologiquement de dizaines de personnes. F. Karadima était curé de la paroisse El Bosque (sise dans un quartier cossu de Santiago) depuis 1972 avant sa condamnation. Il avait également été directeur spirituel de Mgr Barros pendant plus de trente ans. C’est ce rapport d’amitié qui est pointé du doigt par de nombreuses personnes, dont les victimes. Elles accusent en effet ce dernier d’avoir dissimulé, au nom de leur lien d’amitié, les délits commis par Karadima. La situation deviendrait donc un problème pour le pape François. Si l’accusation est vraie, il sera le seul à pouvoir intervenir et demander la démission de l’évêque, selon Anastasía Assimakópulos, spécialiste en droit canonique de l’université des Andes (Journal La Tercera 19/01/18).
À cette époque, le pape avait décidé d’ignorer les voix contre Mgr Barros, lui permettant ainsi de participer à ses côtés à plusieurs événements lors de son voyage au Chili. Il a par exemple pris part à la « messe pour la paix et la justice », qui a eu lieu dans le parc O’Higgins, première rencontre du pape avec ses paroissiens. Sa présence dans ces événements de masse a alors été perçue comme la preuve que le pape soutenait l’évêque d’Osorno. Certains ont montré leur désaccord envers ce rôle majeur de Mgr Barros. « Sa présence gâche la visite du pape. Cependant, il a le droit d’y être en tant qu’évêque » a déclaré l’évêque d’Iquique, Guillermo Vera, selon le quotidien La Tercera. « Cela m’a laissé un goût amer, qu’un frère ait pu prendre part à de tels actes », a déclaré Alejandro Goic, président de la Commission nationale pour la prévention des abus de l’épiscopat, à Radio T13.
Le pape François a l’habitude de parler avec la presse, lorsqu’il rentre de tournées ou lors de ses voyages. Il a, à cette occasion, fait des déclarations au sujet de l’affaire Mgr Barros, qualifiant de calomnies les accusations à son encontre. Il a également manifesté son incapacité à juger l’évêque d’Osorno sans réelles preuves l’incriminant. Étonnamment, quelques jours après son retour, il a tout de même ordonné une enquête sur cette affaire, en envoyant Mgr Scicluna au Chili. L’archevêque de Malte s’était déjà occupé d’autres enquêtes sur la pédophilie auparavant, celle du prêtre mexicain Maciel par exemple, qui n’avait été condamné que par l’Église, échappant à la justice ordinaire.
Lors de son voyage au Chili pour l’enquête, Mgr Scicluna ayant été hospitalisé pour une inflammation de la vésicule biliaire, c’est Mgr Jordi Bertomeu, officiel de la congrégation de la Doctrine de la foi, qui avait pris le relais. Mgr Scicluna a tout de même pu s’acquitter de sa tâche et est rentré le premier mars, après avoir recueilli des témoignages concernant Mgr Barros. Sa rencontre avec l’archevêque de Santiago, Mgr Ezzati, aurait été des plus cordiales, selon ses propos recueillis par La Tercera. Le journal révèle également d’autres déclarations : celles de la victime James Hamilton. Selon ses dires, cela ne servait à rien d’entendre les déclarations de Mgr Ezzati, les religieux n’ayant rien fait pour les victimes. Ce sont les victimes – et seulement elles – qui se sont occupées de dénoncer les abus. Toujours selon J. Hamilton, Mgr Ezzati raconterait « n’importe quoi » et ferait partie de cette clique de « simples délinquants, qui sont même prêts à mentir au pape ». Il aurait également déclaré, toujours selon La Tercera, que les victimes et lui-même ont été les seules à faire parvenir la dénonciation au Vatican, sans aide aucune de la part l’Église chilienne.
Ce n’est pas la première fois que le pape François se voit obligé de prendre position dans un cas comme celui-ci. S’agissant de pédophilie, l’affaire Grassi, qui avait eu lieu en Argentine, avait retenti alors qu’il était président de la Conférence épiscopale. De même que Karadima, Julio César Grassi avait été condamné quelques années après le début de l’affaire. Les témoignages des victimes avaient été de la même façon remis en question et les accusés avaient même parlé de boycott. Plus grave encore, des ouvrages de disqualification des témoignages des victimes avaient été publiés lors du procès. Selon le journal argentin Clarín, Juan Pablo Gallego, l’avocat d’une des victimes, aurait déclaré que ces ouvrages, dont l’un écrit par l’avocat Marcelo Santineti, étaient financés par la Conférence épiscopale d’Argentine, sous l’influence du pape. Mais pour l’heure, l’affaire Barros n’en est qu’à ses balbutiements et il faudra attendre les conclusions de l’enquête pour être au fait des conséquences à venir.
Mario PÉREZ MORALES
Extrait des articles parus dans La Tercera, Libération, Clarín.