Les élections anticipées de Maduro au Venezuela : une bombe à retardement

Le pays pétrolier cherche à sortir de sa situation critique en s’appuyant sur un nouveau scrutin inventé par son président Nicolas Maduro. Comme une réaction en chaîne, après avoir proclamé sa décision d’avancer la date de l’élection présidentielle pour le 22 avril prochain, initialement prévue pour décembre, le groupe de Lima a exigé un nouveau calendrier électoral.

Photo : Groupe de Lima/Infobae

À l’issue d’une réunion qui s’est déroulée le 13 février dernier, l’alliance de 14 pays d’Amériques et des Caraïbes ont exhorté « le gouvernement du Venezuela à reconsidérer la convocation pour l’élection présidentielle », car « il ne peut y avoir d’élections libres et justes sans la pleine participation des partis politiques. » Selon un sondage de l’Institut vénézuélien d’analyse des données (IVAD), Maduro doit faire face à un taux d’impopularité de 75 %. Mais, en avançant la date des élections de plusieurs mois, il semble avoir réussi sa manœuvre de déstabilisation à toute intention de former une coalition de la part de l’opposition, déjà affaiblie par ce que l’Église avait évoquée l’année dernière comme la mise en place d’une « dictature ». Le mot est juste depuis que la MUD, « Table de l’unité démocratique » qui réunit les principaux partis de l’opposition, a été interdite de participation. Le système politique vénézuélien reste ainsi largement bloqué par la concentration du pouvoir.

Délicate problématique dans ce mois d’avril charnière pour l’héritier de l’idéologie chaviste qui a conduit le pays à la ruine : le Pérou, hôte le 13 avril prochain du sommet des Amériques – réunissant des chefs d’État de 35 pays du continent et des Caraïbes – a demandé au président vénézuélien de s’abstenir d’y participer, et lui a fait savoir qu’« il ne sera pas le bienvenu ». La réponse de Maduro à cette mise en garde du gouvernement péruvien a une signification multiple. Elle révèle l’état d’esprit d’un homme désespéré, et le niveau de son langage montre sans ambiguïté non seulement qu’il n’est pas à la hauteur des circonstances, mais surtout qu’il ne possède pas la dignité que l’on pourrait attendre d’un chef d’État démocratique : « Ils ont peur de moi ? Ils ne veulent pas me voir à Lima ? Ils vont me voir, qu’il pleuve, qu’il y ait du tonnerre ou des éclairs, par les airs, par terre ou par mer j’arriverai au sommet des Amériques avec la vérité […] du Venezuela. »

Comme nous l’avons déjà dit dans un article précédent, le Venezuela vit les prémices de ce processus depuis la main de fer avec laquelle Hugo Chávez a coupé net le dialogue politique, bien que certains continuent encore à plaider en faveur de sa politique du populisme, mais sans avoir vécu ses conséquences. Au cœur de cette crise, il y a des erreurs et des insuffisances du passé, et le malaise démocratique qui traverse le pays depuis vingt ans reste intact. En effet, aucun progrès n’a été fait dans la démocratisation de la vie politique et sociale, condition sine qua non pour donner au peuple la possibilité de s’exprimer et d’exercer sa souveraineté librement. C’est là que réside le véritable populisme socialiste, consciencieux et visionnaire.

Depuis des années donc, la base de l’économie vénézuélienne s’est développée, marchand dans la voie de l’idéal chaviste, sans que des changements adéquats soient intervenus dans le système de gestion et de redistribution des divises générées par l’exportation du pétrole. Par conséquent, le gouvernement de Maduro n’a pas réussi à rattraper son retard par rapport aux pays les plus développés, malgré les immenses ressources pétrolières et gazières. Il n’a pas réussi non plus à transformer ses structures sociales, à former des ouvriers hautement qualifiés, à réaliser de profonds changements dans le domaine de la culture et de la technologie, à ouvrir le chemin de la promotion aux plus larges masses de travailleurs, à la jeune génération qui aujourd’hui est contrainte à émigrer vers de nouveaux horizons.

Toutes ces erreurs et déficiences ont été mises au jour par la crise sociale, économique et politique qui a conduit le pays à sa perte, dont les raisons, et l’ampleur du mécontentement, n’ont pas varié depuis très, très longtemps. Et les fléaux qui tourmentent le peuple, comme le chômage dans les villes, le surcroît de main d’œuvre à la campagne et l’incertitude du lendemain sont loin de disparaître même avec une élection anticipée, espèce de diagonale du vide empruntée par Maduro pour assurer sa continuité à la tête du pouvoir.

Cette catastrophe humanitaire prend des contours plus nets jour après jour, avec la pénurie d’aliments et de médicaments. Une pénurie aggravée par une hyper-inflation qui pourrait atteindre en 2018 le chiffre astronomique de 13 000 % selon un rapport du FMI. Pour se faire une idée, mentionnons que dans le courant du mois de décembre, les prix ont augmenté de 85 % (on parle d’hyper-inflation lorsque les chiffres dépassent le 50 % mensuel).

Aujourd’hui, l’afflux massif de migrants se poursuit vers les pays limitrophes. Par exemple, le Brésil a déclaré « l’état d’urgence sociale » après avoir accueilli 10 000 réfugiés pour le seul mois de janvier. En outre, plusieurs pays, comme le Mexique, qui vient de constituer un « groupe technique » avec le Canada et les États-Unis, envisagent de lourdes conséquences pour la population vénézuélienne, et sur l’économie d’autres pays, après les menaces de sanctions pétrolières que les États-Unis s’apprêteraient à imposer à la « république bolivarienne ». Sur ce point, rappelons que Donald Trump avait déjà manifesté, en septembre dernier, son intention d’intervenir avec une option militaire. Cette menace est toujours d’actualité selon Maduro : il a affirmé que, sous l’influence des États-Unis, l’armée colombienne se prépare à engager des exactions en vue de provoquer un conflit armé entre les deux pays voisins. En prévision de ces hypothétiques menaces étrangères, Nicolas Maduro vient d’annoncer la tenue de manœuvres militaires, les 24 et 25 février, « pour renforcer la capacité de défense du pays ».

Le Venezuela n’est pas menacée d’une guerre civile, mais d’un désordre qui peut mettre un frein à des processus de développement de l’Amérique latine en particulier, mais aussi de certains pays de la communauté internationale. Il ne faut surtout pas oublier que les deuxièmes réserves pétrolières de la planète gisent sous le sol vénézuélien, après celles de l’Arabie Saoudite. C’est la raison pour laquelle, à deux mois de l’élection – si la date du 22 avril est maintenue – Maduro est certainement animé par un double souci : celui, d’abord, de créer les conditions pour la stabilisation d’une économie minée par une affectation incorrecte des ressources ; ensuite, celui d’apaiser la tension que la situation interne provoque avec l’Amérique latine et les États-Unis.

Dans ce contexte menaçant dangereusement l’existence de l’État, au bord de l’implosion, une question reste ouverte : réussira-t-il, le plus rapidement possible, à sortir le pays de la crise en rassemblant les forces vives de la nation de manière pacifique pour le bien de la patrie « socialiste », et au-dessus des intérêts et des pressions de groupes particuliers qui détiennent le véritable pouvoir sur cette bombe à retardement ?

Eduardo UGOLINI