Il était une fois… trois personnes à Bogotá dans les années 1980 : un jeune peintre talentueux, doué pour les portraits ; un prêtre ouvert aux autres, qui prend très au sérieux les confessions qu’il écoute ; une jeune fille qui vend des boissons chaudes dans les quartiers populaires et qui souffre de la misère qui ne l’a pas quittée depuis sa naissance. Des vies qui pourraient être banales. Mais la routine de chacun des trois est brisée par un événement qui les emmène de plus en plus loin vers l’inconnu…
Photo : Eva Sala, CírculodeBellasArtes/Éditions Asphalte
Dans un style qui pourrait avoir pour équivalent en peinture Edward Hopper ou, mieux encore, les maîtres naïfs, Mario Mendoza dissèque froidement des tranches de leurs vies. María accepte de servir d’appât pour dépouiller sans violence des dragueurs friqués ; Ernesto, le prêtre, est troublé par quelques confessions qui jettent le doute sur sa foi et Andrés, le peintre, se découvre des pouvoirs maléfiques.
Mais il est trompeur, celui qui nous raconte tout ça ! Il nous fait nous enfoncer dans un mal qui serait (qui est) banal, un mal sournois. On boit de la limonade, au presbytère, entre prêtres, tout en commentant l’assassinat d’une femme et de ses deux filles par le père de famille. Insensiblement va se poser la question de l’origine du mal ou celle de savoir jusqu’à quel point chacun peut sentir une pointe de responsabilité dans sa diffusion.
Les racines du mal, sont-elles en l’homme, naturelles en quelque sorte, ou surnaturelles ? Le mal rôde-t-il dans les rues de nos villes, comme à Bogotá en 1986, comme le montre Mario Mendoza ? L’argent, le sexe ou la morale qui nous est enseignée sont des milieux favorables pour qu’après un long sommeil, il finisse par se réveiller, s’épanouir et se ruer sur les humains pour les détruire de l’intérieur. Peut-on le fuir, lui résister, lui échapper ?
On suit donc les trois personnages, chacun confronté à sa manière à une forme de mal, sans savoir s’ils seront acteurs ou s’ils succomberont aux tentations ou aux bourreaux. Il est impossible d’en dire plus sans risquer de trop en dire.
Satanas est l’un des romans les mieux construits, tous genres confondus, depuis longtemps. Mario Mendoza se montre implacable dans sa façon de faire, le malaise grandit imperceptiblement, mais on sait parfaitement que tous ces destins ne déboucheront pas sur un happy end.
Amateurs de romans d’horreur ou de terreur qui croyez avoir tout lu, découvrez d’urgence Satanas, vous verrez qu’il vous manquait l’essentiel !
Christian ROINAT
Satanas, de Mario Mendoza, traduit de l’espagnol (Colombie) par Cyril Gay, éd. Asphalte, 304 p., 22 €.
Mario Mendoza en espagnol : Satanas / El viaje del loco Tafur / Los hombres invisibles / Buda blues, Seix Barral, Barcelone.
Mario Mendoza en français : Seul le prix du sang, éd. L’Atinoir, Marseille.
Ancien journaliste et professeur de littérature né à Bogotá en 1964, Mario Mendoza se consacre dorénavant à l’écriture. Auteur reconnu en Colombie, on lui doit de nombreux ouvrages qui vont du roman noir (La ciudad de los umbrales (1995), Relato de un asesino (2001), Cobro de sangre (2004)) à la littérature jeunesse (El hijo del carpintero (2014)) en passant par l’écriture de contes (Una escalera al cielo (2004), La locura de nuestro tiempo (2010)). En 2002, il remporte le Prix Biblioteca Breve pour son roman Satanás, qui sera adapté au cinéma en 2007 et qui connaîtra un nouveau souffle en 2018 grâce à sa traduction vers le français par Cyril Gay.