La présidente Michelle Bachelet, à quelques semaines de la passation de pouvoirs en mars prochain, s’est rendu ce mercredi 31 janvier dans la région de l’Araucanie, un terrain miné au milieu d’une sérieuse controverse entre le Ministère public de la justice et la police des carabiniers pour l’Operación Huracán (Opération Ouragan).
Photo : Infinita
Des fonctionnaires de la police chilienne (carabiniers) auraient falsifié des preuves afin d’incriminer des membres de la communauté mapuche dans le cadre de l’Operación Huracán. Celle-ci avait permis, fin septembre 2017, l’arrestation de huit personnes qui seraient impliquées dans des incendies criminels dans l’Araucanie, au sud du Chili. Parmi les détenus se trouvaient le leader de l’organisation Coordination Arauco Malleco (CAM), Héctor Llaitul, ainsi que d’autres membres du groupe mapuche Weichan Auka Mapu (WAM) : Ernesto Llaitul, Jaime Huenchullán, Rodrigo Huenchullán, Fidel Tranamil, Martín Curiche, David Cid et Claudio Leiva. En effet, depuis longtemps, on assiste à des actions violentes dans la zone.
Les preuves justifiant les arrestations furent obtenues par les carabiniers (la police) chargés de l’enquête réalisée dans le cadre de la loi antiterroriste et remises ensuite au Procureur régional de la Justice. Les principales preuves de la police étaient des conversations par WhatsApp et Telegram, qui rendaient compte d’une coordination entre les présumés coupables pour l’exécution des attentats. Dans l’un de ces dialogues par exemple, Llaitul signalait à David Cid qu’il faudrait brûler une centaine de camions. Avec ces preuves le procureur, lors de la première audience du 24 septembre, ordonna la prison préventive des présumés coupables. Mais le 19 octobre, la Cour Suprême décide la libération des détenus pour vice de forme de la décision.
Des portables manipulés ?
L’affaire commença à se compliquer lorsque les premières expertises réalisées par le Laboratoire de Criminologie de Carabiniers (Labocar) sur les preuves (les téléphones mobiles des accusés) révélèrent des incongruences. Pour sortir des doutes, les téléphones furent envoyés pour une nouvelle expertise à l’Unité spécialisée « Délits de lavage d’argent, économiques et du crime organisé » (Uideco) du ministère public. La réponse arriva le 28 décembre : « On a pu constater l’existence d’archives qui rendaient compte d’un probable montage réalisé par des tierces personnes sur les téléphones saisis ». La Fiscalía Nacional (procureur) est également parvenue à une autre conclusion très importante : de tous les téléphones mobiles saisis, seuls deux avaient WhatsApp et un Telegram, et une des conversations incriminées avait une date ultérieure à la saisie des appareils.
Le 28 décembre, le procureur régional Cristian Paredes décida donc d’ouvrir une affaire criminelle pour falsification et obstruction à l’enquête de la part des membres des services de renseignements des carabiniers. Le ministère de l’Intérieur s’empara aussi de l’affaire et ordonna pour sa part une enquête administrative immédiate destinée à éclaircir les faits dénoncés. Étant donné que l’expertise externe détermina que seuls deux téléphones saisis disposaient de WhatsApp, un de Telegram, que trois des archives trouvées dans le mobile de Martín Curiche Curiqueo avaient une date ultérieure à celle de la saisie, la Fiscalía Nacional concluait que « il y a des irrégularités dans les informations données par les Carabiniers ».
Un véritable choc !
Le procureur Parades et son équipe estimèrent qu’ils assistaient à une des situations les plus graves de ces dix-huit ans du ministère public : « Était-il possible que l’institution de Carabiniers fabriquait des preuves pour inculper des personnes sous la protection de la loi antiterroriste ? ». Le Procureur national, Jorge Abbott, dit qu’il s’agit « d’un fait inédit et gravissime, car il est question de l’altération des preuves » et décida d’ouvrir une affaire criminelle contre ceux « qui seraient responsables d’avoir manipulé » les antécédents. Le ministère public communiqua la décision de fermer le cas contre Héctor Llaitul et les sept autres personnes détenues. Le ministère de l’Intérieur ordonna pour sa part une investigation au sein de l’institution de la police (carabiniers). Parmi les actions urgentes à réaliser, le gouvernement demanda de solliciter des informations aux multinationales Microsoft Corporation, Yahoo et Google sur les comptes des imputés dans l’affaire.
Les Carabiniers, une institution critiquée
Ces faits récents ne font qu’aggraver l’image d’une institution qui se trouve durement critiquée par une partie de la population. Le chroniqueur d’un journal national s’exprime dans ces termes à propos de cette affaire et de la police : « Jusqu’à quand resterons-nous impavides face à l’impunité d’une institution dont le degré d’inefficacité, l’absence de contrôle, le manque de transparence et parfois la corruption, dépasse les limites tolérables d’une société démocratique ? […] Acceptant les responsabilités individuelles, nous devons reconnaître que l’institution structurellement et culturellement a une politique délibérée de résistance au pouvoir civil ». Au Chili, la question mapuche est récurrente et insoluble, et l’État ne se saisit pas de l’affaire, laissant agir les forces de l’ordre lorsqu’il y a des conflits entre la communauté mapuche et les propriétaires terriens, sans véritablement chercher une solution de fond. Cette situation ne sera résolue que lorsque l’État s’intéressera à une solution intégrale dont la reconnaissance constitutionnelle, le traitement respectueux et égalitaire de la part de l’État et de ses agents, le développement social et économique et le dialogue interculturel s’imposeront. Il ne s’agit pas d’accepter des réponses violentes d’une part et d’autre et de relativiser la gravité des incendies et des atteintes, ou encore de permettre dans un État de droit que les secteurs qui se sentent menacés s’organisent en groupes d’autodéfense. C’est à l’État de garantir l’ordre et les droits des personnes mais dans la justice et l’équité.
Olga BARRY